Avec le coup d’envoi d’un réseau national en Allemagne, et l’avancement de certains projets au nord, à l’est et au sud de la France, la dorsale européenne prend forme. Mais il faudrait plus de cohérence.

Le projet de Dorsale hydrogène européenne (« European Hydrogen Backbone », EHB) prévoit pour 2040 un réseau de transport d’hydrogène de 53 000 km reliant 28 pays européens. C’est deux fois plus qu’il y a 4 ans, lors de la première projection d’un tel réseau. A l’heure actuelle, on dénombre une quarantaine de projets afin de transporter l’hydrogène par des canalisations (69 % seront des gazoducs adaptés à l’hydrogène, 31 % de nouveaux ouvrages). Soit, l’équivalent de 31 500 km avec des mises en service attendues avant 2030.

  • 9 000 km en 2032 : un réseau national en Allemagne

L’Allemagne est sans conteste l’un des pays les plus avancés. Notre voisin d’Outre-Rhin va déployer d’ici 2032 un réseau de 9 000 kilomètres de transport d’hydrogène à travers le pays.

Le futur réseau a été présenté il y a quelques semaines par le ministre de l’Economie Robert Habeck et l’Agence fédérale des réseaux en charge de cette opération. Il doit relier entre eux les principaux centres industriels du pays, les sites de stockage et les centrales électriques.

carte du réseau allemand

Pour la première économie européenne, qui a renoncé au nucléaire en 2023 et qui va abandonner le charbon d’ici 2030, l’hydrogène et ses dérivés sont la clé de la décarbonation de l’industrie et de la production d’énergie. Les « autoroutes de l’hydrogène » qui seront mises en place en Allemagne seront constituées à 60% de gazoducs actuels, réaffectés pour transporter de l’hydrogène. Les premiers tronçons seront mis en service dès l’année prochaine, a précisé le ministre. En 2032, la puissance d’alimentation devrait atteindre 101 gigawatts, ce qui ferait du réseau « le système de pipelines d’hydrogène le plus grand et le plus performant au monde », selon le ministre de l’Économie de la région de Saxe (est), Martin Dulig. La capacité de production d’hydrogène prévue en Allemagne ne pouvant couvrir tous ses besoins, le pays se prépare à devoir importer de 50 à 70% des quantités nécessaires. Un enjeu majeur sera donc l’interconnexion du réseau allemand avec les canalisations des pays voisins.

L’Allemagne a essuyé un échec, avec la récente annulation d’un important projet de pipeline à hydrogène devant la relier à la Norvège. Il devait servir à envoyer jusqu’à 10 gigawatts (GW) d’hydrogène bleu vers l’Allemagne chaque année. Ce projet de 3 milliards d’euros, annoncé en janvier 2023 par les gouvernements norvégien et allemand a finalement été jugé trop risqué par ses porteurs, la compagnie pétrolière norvégienne Equinor et l’électricien allemand RWE. Mais il y a heureusement des alternatives.

  • Mosahyc : un premier projet transnational

Le premier réseau transfrontalier de transport d’hydrogène renouvelable et bas carbone sera mis en service en 2027. Il verra le jour dans la Grande Région entre la Loraine, la Sarre et le Luxembourg.

réseau mosahyc

Concrètement, GRTgaz, un des leaders du transport de gaz en Europe, et Creos Deutschland Wasserstoff, filiale hydrogène d’un opérateur de réseau en Sarre (Allemagne), vont investir 110 millions d’euros (respectivement 40 et 70 M€). L’annonce de cette décision coïncide avec la signature d’un contrat avec le sidérurgiste Sarrois ROGESA Roheisengesellschaft Saar, dans le cadre de son projet de décarbonation Power4steel sur le site de Dillingen. Le premier réseau transfrontalier de transport d’hydrogène renouvelable et bas carbone sera mis en service en 2027. Il verra le jour dans la Grande Région entre la Loraine, la Sarre et le Luxembourg. Concrètement, GRTgaz, un des leaders du transport de gaz en Europe, et Creos Deutschland Wasserstoff, filiale hydrogène d’un opérateur de réseau en Sarre (Allemagne), vont investir 110 millions d’euros (respectivement 40 et 70 M€). L’annonce de cette décision coïncide avec la signature d’un contrat avec le sidérurgiste Sarrois ROGESA Roheisengesellschaft Saar, dans le cadre de son projet de décarbonation Power4steel sur le site de Dillingen.

Les partenaires construiront un hydrogénoduc de 90 km, dont 70 km proviendront d’une conversion de canalisation de gaz naturel. Ce réseau reliera le premier consommateur industriel – ROGESA située à Dillingen et qui consommera 50 000 tonnes par an – à des producteurs d’hydrogène situés le long de son tracé qui passe par Völklingen, Saint-Avold, Carling, Bouzonville, Perl (à la frontière Luxembourgeoise), Saarlouis et Dillingen. La mise en service est prévue pour 2027. Ce réseau d’hydrogène sera un levier pour la décarbonation des industries locales et de la mobilité transfrontalière. Il pourra accueillir d’autres consommateurs, dont des stations de distribution d’hydrogène.

En Allemagne, les modalités de mise en œuvre du projet mosaHYc dépendent de la décision de subvention IPCEI de l’État fédéral et de la décision d’investissement finale qui en découlera. Ce projet d’infrastructure franco-allemande est également reconnu par l’Europe comme Projet d’Intérêt Commun pour son rôle clé dans l’atteinte des objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

  • Projet H2MED : ouverture d’un appel à manifestation d’intérêt

Les partenaires du projet ont officiellement lancé depuis Madrid un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) ouvert à contribution jusqu’au 18 décembre. Il permettra d’évaluer les besoins et d’affiner le cahier des charges.

Rappelons que le corridor H2MED a pour vocation d’interconnecter les réseaux d’hydrogène de la péninsule ibérique (Portugal, Espagne) à ceux du nord-ouest de l’Europe en passant par la France (via le lien BarMar entre Barcelone et Marseille) et l’Allemagne. Il devrait se concrétiser à l’horizon 2030. L’Appel à Manifestation d’Intérêt H2MED vise à identifier les besoins dans tous les territoires traversés par le Corridor.

Au Portugal, où de vastes programmes éoliens et solaires ont été lancés, l’opérateur national REN prévoit une infrastructure d’hydrogène capable d’exporter 0,75 million de tonnes d’hydrogène par an. En Espagne, où Enagás a été nommé gestionnaire provisoire du réseau de transport* d’hydrogène, l’objectif est d’exporter en Europe jusqu’à 2 millions de tonnes (Mt) par an.

*L’opérateur a reçu l’approbation du Conseil des ministres pour développer, construire et exploiter la dorsale espagnole de l’hydrogène avec 2 700 km de gazoducs et deux installations de stockage associées

En France, deux opérateurs sont associés. Il y a d’une part GRTgaz, qui travaille dans le cadre de son projet HY-FEN, sur une connexion hydrogène de 1 000 km allant de Marseille à Obergailbach à la frontière allemande. Ce tuyau fera le lien avec les principaux centres de consommation et de stockage de France et d’Allemagne. Par ailleurs, Teréga mène le projet HySoW (Hydrogen Southwest corridor project) avec 650 km de canalisations pour décarboner les principaux pôles industriels et de mobilité des régions Occitanie (où il a signé un accord pour le développement des infrastructures de Port-La Nouvelle, dans l’Aude, avec la Région Occitanie, pour l’hydrogène et le CO2) et Nouvelle-Aquitaine. Ce barreau sera connecté au réseau HY-FEN via le projet MidHY développé par GRTgaz.

Enfin, en Allemagne, le projet H2MED sera interconnecté avec le projet H₂ercules de l’opérateur OGE. C’est une infrastructure de 2 000 km qui fait partie du réseau central d’hydrogène allemand d’environ 9 000 km et prévu pour 2032.

projet hyfen – grt gaz
projet hysow – terega
  • Lancement d’un AMI pour une interconnexion hydrogène entre le Port de Dunkerque et la Belgique

Les gestionnaires français et belge d’infrastructures énergétiques, GRTgaz et Fluxys hydrogen, filiale de Fluxys Belgium, annoncent le lancement d’un appel au marché visant à évaluer les besoins et l’intérêt économique pour la création d’une infrastructure « ouverte » de transport d’hydrogène franco-belge.

futur réseau

Ce réseau long de 150 kilomètres aurait vocation à relier la zone industrialo-portuaire de Dunkerque aux zones industrielles de Gand et d’Anvers. L’appel à manifestation d’intérêt sera ouvert du 16 octobre au 29 novembre 2024. La création d’un réseau de transport d’hydrogène par canalisations reliant trois ports industriels majeurs de Mer du Nord (Dunkerque, Gand et Anvers) marque une étape importante dans la structuration d’un réseau de transport d’hydrogène en Europe du Nord-Ouest. En effet, ces grandes zones industrialo-portuaires, marquées par la présence d’industries lourdes comme la sidérurgie, le raffinage et la chimie, font face à des enjeux de décarbonation importants et accueillent aujourd’hui de nombreux projets de production et de consommation d’hydrogène décarboné, leviers essentiels dans l’atteinte des objectifs européens de neutralité carbone.

Des premiers projets de réseaux locaux de transport d’hydrogène dans ces clusters sont à l’étude pour des mises en service progressives d’ici 2030. Du côté français, GRTgaz développe ainsi le réseau DHUNE2 sur le Port de Dunkerque. Du côté belge, Fluxys hydrogen avance pour réaliser les premières infrastructures en 2026.

  • Le point sur les principaux projets

On peut parler aujourd’hui de 5 zones de corridors en cours de constitution. La première concerne l’Afrique du Nord avec le sud de l’Europe : 2 300 km de canalisations qui vont transiter par l’Italie (via les corridors SoutH2 et SunshYne, remonter vers l’Allemagne et l’Autriche, mais aussi la Slovaquie, la République Tchèque et possiblement la Hongrie. Toujours en provenance de l’Afrique du Nord, une autre route remonte vers le sud-ouest de l’Europe. C’est le fameux projet H2Med avec son départ au Portugal, le transit par l’Espagne et les ramifications vers la France et l’Allemagne. La Mer du Nord concentre également plusieurs projets, en raison de l’éolien off-shore. On peut citer la Belgique, les Pays-Bas, mais également le Danemark, où une liaison est prévue avec l’Allemagne sur 561 km. Des projets comme HyOne et AquaDuctus visent à relier de l’hydrogène produit en mer aux côtes allemandes. Une quatrième zone concerne les régions nordiques et baltiques. Il s’agit de connecter la Finlande et la Suède à l’Allemagne. Enfin, la dernière zone cible l’est et le sud-est de l’Europe. Il s’agit d’assurer le transport de l’hydrogène depuis la Grèce ou l’Ukraine à travers la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie et l’Autriche.