L’hydrogène s’invite au salon du Bourget
Quelques jours avant le salon, lors d’une visite dans l’usine Safran Aircraft Engines de Villaroche en Seine-et-Marne, le président de la République a dévoilé un plan pour l’avion décarboné. Il a annoncé que l’État allait soutenir la filière aéronautique à hauteur de 300 millions d’euros par an sur la période 2024-2030. Cette enveloppe sera destinée à financer la recherche et l’innovation pour décarboner le secteur aérien. Il est question de développer des carburants propres, mais aussi de nouveaux appareils et de nouveaux moteurs. Par ailleurs, Emmanuel Macron a déclaré que 200 millions d’euros d’argent public et privé seront alloués aux start-ups du secteur aérien, pour soutenir le développement de petits avions électriques ou fonctionnant à hydrogène. Une somme comparable ira aux biocarburants pour l’aviation.
Le chef de l’Etat en a profité pour révéler les lauréats d’un appel à projets de France 2030 sur l’avion décarboné (49,3 M€ d’aides de l’Etat pour 125 M€ d’investissement cumulés). Dans le domaine de l’hydrogène, il y a deux lauréats. Le premier Blue Spirit Aero, qui présentait pour la toute première fois au Bourget la cabine du Dragonfly en taille réelle. Ce soutien de l’Etat permettra d’accélérer la réalisation de ce petit avion, destiné aux aéro-clubs. Avec le développement de son jumeau numérique (projet Prefab pour lequel il s’est associé à Dassault Systèmes et Soben), cet avion à hydrogène zéro émission fera son premier vol d’essai l’année prochaine en vue de la certification en 2026. Le second lauréat est Beyond Aero. Son projet consiste à concevoir, produire et tester au sol un système propulsif à pile à combustible de 2 x 300 kW. La cible est celle de l’aviation d’affaires. La start-up a d’ailleurs levé le voile sous forme de vidéo sur son aéronef One. Ce jet pourra accueillir huit passagers et voler à 575 km/h, avec une autonomie de 1 500 km (1 000 miles nautiques). H2 Motronics a collaboré avec Beyond Aero sur le développement de la pile à combustible. L’hydrogène est stocké sous forme gazeuse. Cependant, la start-up ne s’interdit pas de passer au stockage liquide à plus long terme.
Au salon, on a pu voir également (sous forme de maquettes) de petits avions à l’hydrogène. Par exemple, Avions Mauboussin a mis en avant l’Alerion M1h, un appareil biplace qui décolle et atterrit en 100 mètres, sans bruit et sans pollution. Dès cette année, à l’automne, une version miniature fera un premier vol avec une pile à combustible. Avions Mauboussin prévoit ensuite de faire voler le véritable appareil en 2024, avec des carburants durables. La version hydrogène est prévue en 2026, avec un moteur à combustion utilisant de l’hydrogène. L’ancien skipper Loïc Pochet a présenté pour sa part le Morgann. Cet hydravion à foils et ailes rétractables sera à terme proposé dans une version à hydrogène (pile ou moteur à hydrogène). Le projet, qui a été délocalisé de la Bretagne vers Sète, a été sélectionné par le GIFAS au titre des start-ups innovantes. Au salon, il y avait même un avion utilisant un moteur de moto (d’origine Kawasaki) et carburant à l’hydrogène. La société basque Akira exposait un moteur à combustion alimenté par de l’hydrogène, qu’elle intègre dans le démonstrateur de Voltaero. C’est donc un nouveau débouché pour ce spécialiste de l’ingénierie qui a débuté par la compétition moto. Basée à Bayonne, la société s’est équipée d’un banc de test pour l’hydrogène (moteurs et turbines) et a développé un premier moteur monopiston, intégré dans l’avion Cassio 330 de Voltaero, un appareil hybride, combinant propulsion thermique et électrique.
Juste avant le salon du Bourget, l’ONERA a levé le voile sur sa vision d’un futur avion à hydrogène. Baptisé Gullhyver, cet appareil transport monocouloir est doté d’un fuselage ovale et non circulaire comme les avions actuels. Il est aussi équipé pour les mêmes besoins d’ailes étroites mais de grande envergure. L’appareil disposerait de deux moteurs à hélices non carénées fonctionnant à l’hydrogène renouvelable liquide. Pour le stockage, deux réservoirs seraient aménagés dans la partie arrière du fuselage. Mais, les plus grosses annonces sont venues d’Airbus. À l’occasion du salon du Bourget, l’avionneur européen a mis en avant deux voies : la pile à combustible en tant que générateur auxiliaire et la turbine à gaz alimentée à l’hydrogène. Commençons d’abord par le projet HyPERION, qui réunit Safran, Airbus et ArianeGroup. Lancé dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir (PIA), il avait pour objectif d’explorer des solutions techniques de propulsion à hydrogène à l’horizon 2035. Airbus parle d’avancées significatives. L’étude a porté sur l’ensemble du processus, depuis la sortie du carburant des réservoirs jusqu’à l’éjection des gaz enflammés. La définition du circuit de distribution s’est fortement appuyée sur l’expérience d’ArianeGroup en matière de comportement du combustible sur les lanceurs Ariane. A noter que l’hydrogène est stocké sous forme liquide, puis conditionné pour qu’il atteigne une température et une pression optimales dans les moteurs. Le 12 mai dernier, dans son centre d’essais de Vernon, ArianeGroup a réalisé avec succès un test de preuve de concept d’un système de conditionnement d’hydrogène pour l’alimentation d’une turbine à gaz aéronautique. Cette première a été réalisée en réutilisant des équipements (pompe électrique, générateur de gaz, échangeurs) initialement destinés aux applications spatiales. Dans le cadre d’un autre programme, porté par Airbus UpNext (la filiale en charge de l’innovation), la pile à hydrogène est utilisée sous la forme d’un générateur d’énergie non propulsive, au sol comme en vol. Il s’agit d’alimenter ce qu’on appelle l’APU (Auxiliary Power Unit). Ce petit moteur supplémentaire permet de gérer la climatisation, l’éclairage de bord et énergie électrique pour l’avionique. Avec ce nouveau démonstrateur technologique, piloté depuis ses installations en Espagne, Airbus UpNext remplacera l’APU actuel d’un A330 par un système de pile à combustible à hydrogène qui produira de l’électricité. Baptisé HyPower, le démonstrateur de pile à combustible à hydrogène vise également à réduire les émissions de CO2, d’oxydes d’azote (NOx) et les niveaux sonores associés à un APU traditionnel. La technologie sera testée en vol en 2025.
A noter que le commissaire chargé du marché intérieur, Thierry Breton, était présent au salon pour assister à la deuxième assemblée générale de l’Alliance pour l’Aviation Zéro Émission (Alliance for Zero Emission Aviation, « AZEA »). L’Assemblée générale a permis de présenter les progrès réalisés par l’Alliance pour se préparer aux avions à hydrogène et électriques qui entreront en usage commercial durant cette décennie. Les années à venir doivent être mises à profit pour établir un cadre réglementaire approprié.
Les carburants de synthèse plus connus sous le nom de SAF étaient aussi à l’ordre du jour. Ainsi, Elixir Aircraft, va bénéficier d’une aide de 13M€ de l’Etat. Avec un financement d’une quarantaine de millions d’euros, la société va avancer sur des projets de biocarburant (SAF) et hydrogène. Avec sa technologie d’aérostructures en carbone OneShot, Elixir Aircraft a développé un avion d’entrainement certifié capable de réduire de 70 % ses émissions de CO2. Elle ambitionne une réduction de 90 %, grâce au SAF et quasiment de 100 % dans plusieurs décennies grâce à l’utilisation de l’hydrogène. Emmanuel Macron a également annoncé l’implantation d’une usine de biocarburants à Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques : 75.000 tonnes seront annuellement produites dans cette nouvelle usine, qui devrait voir le jour en 2027. Le projet « BioTJET » est porté par la société Elyse Energy et devrait créer 700 emplois directs. Il est à noter qu’à la veille du salon, les responsables techniques d’acteurs majeurs de l’aviation (Airbus, Boeing, Dassault, GE aerospace, Pratt & Whitney, Rolls-Royce, Safran) avaient lancé un appel en faveur de ces carburants. Pour sa part, Air France-KLM a tenu à faire savoir que le groupe va plus loin que la réglementation. Le Groupe Air France-KLM s’est fixé la cible d’au moins 10 % d’incorporation de SAF à horizon 2030 au niveau mondial, et non pas seulement sur ceux au départ de France et d’Europe. En lien avec ces objectifs, et celui plus global de réduire de 30% ses émissions de CO2 par passager/km d’ici à 2030 par rapport à 2019, le Groupe Air France-KLM a signé des contrats avec Nesté et DGFuels, pour un total de 1,6 million de tonnes de SAF. Ces contrats d’approvisionnement couvrent 3 des 10% que le Groupe souhaite incorporer à horizon 2030. Les livraisons sont prévues entre 2023 et 2036. Un protocole d’accord a déjà été conclu avec TotalEnergies, et le Groupe travaille actuellement avec d’autres acteurs comme Engie ou Elyse Energy pour le développement d’une production en France. La compagnie aérienne souligne que ces accords sont essentiels pour que les producteurs puissent anticiper la trajectoire de la demande et développer l’offre en conséquence.
Au-delà de ces annonces, des animations étaient proposées sur l’avion décarboné. Situé au coeur du salon, le Paris Air Lab a mis l’accent sur la décarbonation sur un espace de 1 000 m2. Une série de tables rondes a permis tout au long de la semaine d’approfondir des sujets clés, comme les conditions de la transition vers les énergies non fossiles, et des sessions seront dédiées aux programmes européens ou aux acteurs émergents – avec notamment une session de pitch de startups travaillant sur la problématique de la décarbonation. Un autre espace, le Paris Air Mobility mettait en avant les taxis volants (EVTOL), plutôt à propulsion électrique.
Dans un autre genre, la société suisse Destinus a profité du salon du Bourget pour présenter le Destinus 3 : un avion supersonique qui devrait voler dès l’année prochaine. Dans 10 ans, la promesse est de relier Paris à New York en seulement 90 mn. Après plusieurs vols de tests, portant notamment sur l’aérodynamique, une campagne d’essais en vol a été menée le 24 mai dernier pour tester la motorisation. Le vol expérimental a porté sur un prototype sans pilote. Plusieurs vols ont été effectués avec des allumages multiples de la postcombustion à hydrogène, atteignant des vitesses d’environ 250 km/h d’après Destinus.