Importations d’hydrogène : des opportunités plutôt qu’une menace pour la filière de production locale
C’est ce qu’on appelle une méta-analyse d’études. L’association s’est appuyée sur une quinzaine d’études quantitatives réalisées par plusieurs organisations faisant référence dans leur domaine, dont le Hydrogen Council, l’IRENA, le Centre de recherche commun de la Commission européenne (JRC), le cabinet Deloitte ou encore l’institut de recherche allemand Fraunhofer. « Ce n’est pas une note de position de France Hydrogène, mais une aide à la réflexion et la prise de décision », explique Pierre Laboué, responsable des relations internationales. Et il précise que ce travail avait été lancé avant la publication par le gouvernement du document de consultation sur la révision de la stratégie nationale de l’hydrogène. En décembre, les pouvoirs publics avaient en effet annoncé leur intention de s’ouvrir aux importations afin de compléter la production nationale et de promouvoir une diplomatie de l’hydrogène. Une mission a d’ailleurs été confiée à trois services de l’Etat : l’inspection générale des finances (IGF), l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), et le Conseil général de l’économie (CGE). « On se doutait que c’était un sujet pour la filière, qui avait besoin de mener sa propre réflexion pour y voir plus clair », poursuit Pierre Laboué.
Ce document de 43 pages est intitulé « Enjeux et défis des importations d’hydrogène et ses dérivés pour la filière française », avec un sous-titre faisant référence à la « compétitivité et disponibilité des molécules par rapport à la production domestique européenne ». Il est important de préciser que l’horizon se situe entre 2030 et 2050. Et si le sujet des importations est beaucoup discuté, « le développement d’un commerce mondial de l’hydrogène et ses produits dérivés reste très en-dessous des promesses et des attentes, toutes géographies confondues », annonce en introduction ce rapport.
En fait, il ne se passera rien de massif avant 2030, au minimum. « Il n’y a pas encore de décisions arrêtées en faveur de projets d’exportation de façon massive », avance le responsable des relations internationales de France Hydrogène. « L’aménagement de gazoducs pour le transport d’hydrogène et la construction de nouveaux ouvrages nous entraîne dans une temporalité lointaine. De plus, il faut de la production en volume pour justifier la construction d’une infrastructure sous-marine en provenance d’Algérie ou du Maroc », explique-t-il. De plus, le modèle économique de ces gros ouvrages fait l’objet de débats, en raison de leur complexité. Le fait est que leur planification nécessite d’être anticipée au cours de cette décennie.
Une autre alternative est le bateau pour acheminer vers l’Europe des molécules d’hydrogène. Au niveau mondial, le transport d’ammoniac par voie maritime, est l’option privilégiée pour 80 % des volumes d’exportation annoncés pour 2040, suivi des carburants de synthèse (5 %), de l’hydrogène comprimé par gazoduc (4 %) et de l’hydrogène liquide (2 %). On peut notamment citer le projet saoudien et la ville futuriste Neom dans le nord-ouest du pays. Ce projet est très avancé: « Le projet a été annoncé en 2020, la décision finale d’investissement a été prise en 2023 et la mise en service est attendue en 2026, pour une production allant jusqu’à 600 tonnes d’hydrogène par jour », indique Pierre Laboué. D’autres pays présentent un fort potentiel à l’export et on peut donc s’attendre à un envoi de bateaux en provenance du Chili ou de Mauritanie.
Mais selon l’AIE, plus de 75 % des projets d’exportation annoncés à 2030 ne sont encore que des « concepts ». De nombreux défis doivent être relevés. Tous ces pays n’ont pour l’instant pas les infrastructures nécessaires à l’export, comme un port en eaux profondes. Et au-delà des questions de financement, certains candidats à l’export seront soumis à des tensions. Il se pose en effet la question du partage des ressources clés pour la production et l’exportation d’hydrogène, en particulier l’eau et les électrons, face à la croissance des besoins des populations et des économies locales d’Afrique du Nord.
En revanche, les choses pourraient aller plus vite à l’intérieur de l’Europe. « Il y a un besoin de connecter les sites de production avec les clients pouvant consommer cet hydrogène en Allemagne, aux Pays-Bas et en France », relève notre interlocuteur. Selon la note de France Hydrogène, il apparaît que le développement d’une infrastructure de transport d’hydrogène intra-européenne apparaît plus accessible, car les distances sont moins longues et les niveaux de certitude plus élevés. Il existe déjà des projets d’interconnexion aux frontières, comme MosHayc entre la France, le Luxembourg et l’Allemagne, oui encore Dhune qui fait le lien avec la Belgique à partir de Dunkerque. Et on pense bien sûr au projet H2MED qui peut connecter le Portugal, l’Espagne et la France, avec une extension vers l’Allemagne.
A ce stade, aucun « élément tangible » n’indique que la compétition des importations d’hydrogène extra et intra-européennes « menacerait la viabilité d’une production domestique française ». Et ce, même en 2050. Les importations permettraient « au contraire » de diversifier les modalités d’approvisionnement de l’économie hydrogène française et de relâcher une partie de la pression sur la disponibilité des énergies primaires et du foncier. « Plutôt qu’une menace, nous y voyons des opportunités », résume Pierre Laboué. Les productions domestiques, européennes et françaises, pourront coexister avec les importations, la différence se faisant au niveau du prix et de la disponibilité en volume.
Et quid de la question de l’export ? « Elle n’est pas traitée dans notre méta-analyse », reconnaît le responsable des relations internationales de France Hydrogène. « Mais, c’est une question qui peut nous intéresser », reconnaît-il. Le fait est que la France n’apparaît pas comme un acteur potentiel dans les études qui ont pu être faites sur le sujet. On la voit davantage comme un pays de transit. Pourtant, l’hexagone coche plusieurs cases avec ses bassins industriels et son importante façade maritime. Ce sera peut-être l’objet d’une prochaine étude de France Hydrogène.