Gigafactories, usines de production massive : la filière hydrogène entre dans le dur
Depuis 2020, le soutien des pouvoirs publics a permis d’amorcer une structuration de la filière industrielle. On peut le mesurer aujourd’hui, avec les premières gigafactories qui ouvrent dans les territoires pour produire des piles, des réservoirs et des électrolyseurs. Et en parallèle, on voit aussi se mettre en place des projets de production massive d’hydrogène et des écosystèmes alliant production, distribution et usages (dont la mobilité). Ce constat a été posé lors de la réunion du CNH, à laquelle France-Hydrogène participait en tant que co-secrétaire, et qu’a présidée Roland Lescure, le ministre délégué à l’Industrie et à l’énergie. L’heure est donc au passage à l’échelle et le secteur de la mobilité a été le premier à montrer l’exemple.
Piles et réservoirs : déjà des gigafactories
Forvia a été le premier à se lancer en octobre 2023, avec sa plateforme d’Allenjoie (Doubs), à une quinzaine de km de Belfort. La mise en route de ce site constitue une étape-clé dans la stratégie de l’équipementier, qui se fixe une capacité de production de 100 000 réservoirs par an d’ici 2030. L’objectif est aussi de réduire par 5 les coûts de production d’ici deux ans. De plus, l’usine répond aux normes environnementales les plus strictes. Ensuite, c’est la gigafactory de Symbio qui a été inaugurée en décembre dernier. Un projet d’envergure dont le démarrage a été salué par la présence des trois grands patrons de Forvia, Michelin et Stellantis, ses actionnaires de référence. Située à Saint-Fons, près de Lyon, elle va produire 50 000 piles par an à l’horizon 2027/2028. L’usine fait partie d’HyMotive, un projet industriel et technologique stratégique soutenu par l’Union européenne et le gouvernement français, via les Projets Important d’Intérêt Européen Commun (PIIEC). Il faut préciser que Symbio a également fondé une coentreprise avec Schaeffler sur les plaques bipolaires. La société, qui a pour nom Innoplate, doit débuter sa production en 2024 à Haguenau (Bas-Rhin), avec l’objectif de produire 50 millions de plaques bipolaires et d’employer plus de 120 personnes d’ici 2030. A plus long terme, Symbio prévoit également d’installer une seconde gigafactory, ce qui permettra de doubler ainsi sa capacité de production globale à 100 000 systèmes par an en France dès 2028. Le projet vise également à développer une technologie de rupture pour soutenir la compétitivité de la pile à combustible. Autre acteur en vue dans ce domaine de la pile, Inocel va commencer à livrer dès cette année des pré-séries dans sa gigafactory de Belfort, avant de monter en puissance sur le premier semestre de 2025. Les produits de l’entreprise cofondée par Mike Horn et Mauro Ricci se destinent à la mobilité lourde (et au stationnaire). Pour sa part, OpMobility (ex-Plastic Omnium) va mettre en service en 2025 sa gigafactory de Lachelle, près de Compiègne (Oise), retenue au titre de l’IPCEI Hy2Tech. D’une capacité annuelle de 80 000 réservoirs à hydrogène, l’usine fournira notamment ses clients Stellantis et Hyvia.
Les constructeurs internalisent en France leurs véhicules à hydrogène
Dès la création en 2021 de Hyvia, la coentreprise avec Plug, Renault a fait le choix de l’hexagone. C’est à Flins (Yvelines), au sein de l’usine ReFactory de Renault (dédiée à l’économie circulaire), que l’entreprise produit et teste les piles à combustible depuis 2022. L’intégration de la technologie se fait ensuite par PVI (Power Vehicle Innovation, une autre filiale de Renault spécialisée dans la conversion des véhicules industriels) à Gretz-Armainvilliers (Seine-et-Marne), puis les fourgons sont assemblés à Batilly (Meurthe-et-Moselle). L’objectif de Renault est de renforcer son expertise sur la pile à combustible. Du côté de Stellantis, la partie hydrogène était auparavant sous-traitée à Opel sur son site de Rüsselsheim en Allemagne. Mais, le constructeur a décidé de tout regrouper sur son usine de Hordain (Nord). C’est d’ailleurs le premier constructeur à disposer d’une ligne de production qui puisse à la fois faire du moteur thermique, de l’électrique à batterie et de l’hydrogène pour ses utilitaires. Dès cet été, la nouvelle génération de fourgons compacts à pile à combustible va voir son prix réduit de moitié. Hyvia comme Stellantis veulent dominer le marché de l’utilitaire à hydrogène en Europe. Il ne faut pas oublier que l’un des pionniers de la mobilité hydrogène est le fabricant de bus français Safra. Situé à Albi, il a agrandi son usine en 2021 pour y fabriquer son bus à hydrogène de dernière génération, le HyCity. Les installations permettent également de faire du rétrofit d’autocars, avec un kit spécial, mais également de camions (dans le cadre d’un accord avec Hyliko). GCK est aussi un acteur du rétrofit. Il vient de démarrer la phase industrielle à Cournon (Puy-de-Dôme), alors qu’il a décroché la première homologation en série pour un autocar à hydrogène et qu’il Il revendique déjà des contrats portant sur 100 véhicules avec plusieurs clients (dont la région Auvergne-Rhône-Alpes pour 50 autocars).
Stations : une montée en puissance de la production
McPhy a lancé en octobre 2022 une usine de fabrication de stations à hydrogène, au sein de son siège social de Grenoble. La société avait fait le choix de regrouper ainsi sur un seul site toutes ses activités de recherche, d’innovation, d’ingénierie et de production consacrées à ce domaine. Mais, entre-temps, McPhy a décidé de se recentrer sur les électrolyseurs et a entamé des négociations exclusives avec Atawey pour lui céder cette branche. De son côté, le fabricant savoyard s’est doté d’un second atelier à quelques kilomètres de son site historique de Bourget-du-Lac. Il permettra de développer largement les capacités de production pour répondre à une demande croissante. L’autre acteur de référence, HRS (Hydrogen Refuelling Solutions), vient de se doter d’un nouveau site de 1,4 hectare près de Grenoble. Il comprend notamment 10 000 m2 dédiés à la production industrielle, dont 2 000 m2 pour une zone d’essai collaborative unique en Europe. Il faut rappeler également que l’usine Hyvia de Flins permet de produire aussi des stations à hydrogène fournies par Plug.
Electrolyseurs : les gigafactories sortent de terre
John Cockerill devrait être le premier acteur de cette industrie à ouvrir les portes de sa gigafactory à Aspach-Michelbach (Haut-Rhin). Elle est en principe prévue pour 2024. Au sein du groupe, il s’agit de la première usine européenne de fabrication entièrement consacrée à l’hydrogène bas-carbone, avec une capacité annuelle de production d’électrolyseurs pouvant atteindre 1 GW. McPhy a pris possession dans les temps de sa gigafactory de Belfort au cours de ce premier trimestre. La société prévoit le démarrage des opérations à la fin du 2ème trimestre. La montée en puissance du site se fera progressivement à partir de 2025 dans le but d’atteindre à terme une capacité annuelle de production de 1 GW. L’usine va permettre à McPhy de franchir une étape importante dans la taille de ses électrolyseurs et leur rendement, à l’heure où le marché demande des produits de grande capacité. Cet outil industriel arrive à un moment-clé pour l’entreprise. Gen-Hy construit encore son usine d’électrolyseurs de technologie AEM dans l’agglomération de Montbéliard (Doubs). Le futur bâtiment industriel de 10 000 m2 accueillera sa première ligne de production au troisième trimestre. La société entend faire la différence par ses catalyseurs haute performance à base de nanoparticules de nickel, qui permettent de remplacer le platine et l’iridium. Gen-Hy affirme améliorer les performances de l’électrolyse et augmenter de 30 % la quantité d’hydrogène produit pour un électrolyseur de 1 MW. Quant à Elogen (groupe GTT), il vient de démarrer le chantier de sa gigafactory à Vendôme (Loir-et-Cher). Il va y produire des stacks d’électrolyseurs PEM, avec une capacité de 1 GW et un process hautement automatisé. La mise en service est prévue au 4ème trimestre 2025. Il faut compter aussi avec Genvia qui a récemment inauguré une première ligne de production à Béziers qui produira plus de 300 stacks par an. Le site montera progressivement en puissance avec 1 000 électrolyseurs annuellement à horizon 2024, avant sa pleine capacité de production pour 2025. L’objectif affiché ensuite est ambitieux : plus d’1 GW de production d’hydrogène et 50 000 électrolyseurs par an en 2030 au sein de la gigafactory, dont la construction sera lancée en 2026.
Usines de production d’hydrogène : des centaines de MW en perspective
Pionnier de l’hydrogène vert, Lhyfe a ouvert en 2021 son premier site de production à Bouin, en Vendée. La capacité de production installée actuelle de 1 MW sera portée à 2,5 MW (soit au maximum 1 tonne d’hydrogène vert par jour) en 2024. La capacité de stockage sur site, de l’ordre de 700 kg à l’heure actuelle, sera portée à près de 5 tonnes. Depuis, la société a ouvert en fin d’année dernière deux autres sites à Buléon dans le Morbihan et à Bessières en Haute-Garonne. Ces sites, qui pourront produire chacun jusqu’à 2 tonnes d’hydrogène vert par jour (soit une capacité installée d’électrolyse de 5 MW par site), sont les plus grandes unités de production d’hydrogène vert et renouvelable de France. Pour sa part, H2V développe des giga-factories de production d’hydrogène vert en France. L’entreprise mène des projets sur Dunkerque, Marseille-Fos, Thionville, Valenciennes, aux Portes du Tarn, à Saint-Clair-du-Rhône et Pont-sur-Seine. Les mises en service vont s’échelonner entre 2027 et 2029 avec des capacités de 100 à 200 MW selon les projets dans une première phase. Haffner Energy, qui se distingue par son procédé de thermolyse, veut ouvrir sa première usine de grande capacité à Saint-Dizier (Haute-Marne), où seront fabriqués et assemblés ses modules de production de gaz et d’hydrogène à partir de biomasse. Le projet devrait démarrer mi-2024 pour aboutir en 2026. Un beau symbole industriel est l’ancienne centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle). L’objectif est de produire 56 000 tonnes d’hydrogène chaque année d’ici 2030.
De l’hydrogène produit dans les raffineries…
A Port-Jérôme (Seine-Maritime), dans le cadre du projet Normand’Hy, Air Liquide va mettre en service un électrolyseur de 200 MW. La moitié de la production sera destinée à la raffinerie de Gonfreville de TotalEnergies. L’autre moitié sera utilisée par des clients du bassin industriel normand ainsi que pour les besoins de mobilité. Un autre acteur concerné est TotalEnergies qui va produire de l’hydrogène vert avec Engie dans le cadre du projet Masshylia dans sa bio-raffinerie de La Mède (Bouches-du-Rhône) et qui a d’autres projets avec Air Liquide à Grandpuits (Seine-et-Marne).
… Et massivement aussi pour la sidérurgie
Et puis, n’oublions pas la sidérurgie. Ainsi, Grav’hity qui va produire à Fos-sur-Mer du fer réduit direct (DRI / HBI) bas-carbone, en utilisant une production sur site d’hydrogène renouvelable et bas carbone par électrolyse. Le projet est soutenu par France 2030. Mais surtout, ArcelorMittal prévoit de construire une unité DRI à Dunkerque, d’une capacité annuelle de 2,5 millions de tonnes, pour transformer le minerai de fer avec à terme de l’hydrogène, sans recourir au charbon. Cette unité DRI sera complétée par deux fours électriques. Ces nouveaux équipements industriels seront opérationnels à compter de 2027 et remplaceront progressivement d’ici 2030 deux hauts-fourneaux sur les trois actuels d’ArcelorMittal à Dunkerque.
A tout cela, il faut ajouter aussi les usines de production de carburants de synthèse (Elyse Energy, Engie, Genvia, Hynamics, Lhyfe, Qair). Et justement, France Hydrogène estime qu’il faudrait une filière française de production de carburants de synthèse pour l’aérien et le maritime. L’association estime que c’est un élément clé pour atteindre les objectifs 2030-2035 et qu’il pourrait même s’agir d’un axe fort dans le cadre de la révision de la Stratégie Nationale. Pour intensifier la dynamique, il serait bon également de soutenir les usages et la demande d’hydrogène, en même temps que la production. Cela permettra de structurer le marché dans l’industrie, mais aussi de donner un coup de pouce au secteur de la mobilité, dont la chaîne de valeur comprend les véhicules, les composants mais aussi l’infrastructure de recharge comme on l’a vu. Et ce sont de bons candidats à l’export. Mais malgré ces nouveaux outils industriels, qui font leur apparition un peu partout en France, la priorité reste avant tout un prix compétitif de l’hydrogène renouvelable et bas-carbone. A ce propos, France Hydrogène préconise de lancer la première tranche des appels d’offres du mécanisme de soutien, mais aussi de donner rapidement une visibilité aux industriels sur la disponibilité et le coût de l’électricité.