Filière hydrogène : déjà de nombreuses opportunités de recrutement
Le lieu était assurément bien choisi, puisqu’il s’agissait de l’Hôtel de l’Industrie (au cœur de Saint-Germain-des-Prés). Et c’est justement ce secteur qui suscite la convoitise en matière d’emplois, générant des tensions sur de nombreux métiers. Il faut resituer d’abord le projet. À l’occasion du salon HyVolution, en février dernier, France Hydrogène, l’AFPA, EIT Innoenergy, Pôle Emploi, RCO-Le Réseau des Carif-Oref et Adecco Digital France ont décidé de collaborer pour réaliser un diagnostic poussé et une analyse des compétences-métiers et formations de la filière Hydrogène. C’est ainsi qu’est né le projet DEF’Hy, soutenu par l’État dans le cadre du plan France 2030 et sacré lauréat de l’appel à manifestation d’intérêt « Compétences et Métiers d’Avenir ». Mené en six mois, ce projet met en lumière la nécessité d’anticiper, de donner de la visibilité et d’innover pour recruter l’ensemble des talents dont les industriels auront besoin.
La filière hydrogène est en plein essor. Alors que la ministre de la Transition Ecologique vient d’annoncer 4 milliards pour la production d’hydrogène bas carbone (voir le fait marquant), Philippe Boucly n’a pas manqué d’énumérer d’autres chiffres : 460 membres pour l’association, 250 projets, 1,2 milliard d’euros de soutien public à ce jour. Le Président de France Hydrogène a également rappelé qu’une veille est opérée depuis déjà trois ans sur la formation et les métiers et qu’un livre blanc est sorti en 2021. A terme, plus de 100 000 emplois directs et indirects sont attendus à l’horizon 2030 : des besoins énormes qu’il est nécessaire d’anticiper dès aujourd’hui. Pour le moment, les effectifs sont assez modestes, avec 5 800 emplois en 2022. Mais, c’était 3500 emplois directs en 2021… D’autre part, en matière d’offres d’emploi, il y en a eu 6800 liées à l’hydrogène l’an dernier. Soit, une augmentation de 77% par rapport à 2019. Chez Pôle Emploi, Julien Besançon a utilisé le terme de viviers, en faisant référence aux agences locales qui disposent d’offres pour l’industrie. Pour sa part, le groupe Adecco – premier acteur privé dans le recrutement – dispose également de bases de données.
Trois phases de recrutements d’ici 2030
Le projet DEF’Hy a permis d’identifier trois phases. Entre 2023 et 2025, les besoins seront tirés par l’innovation et le développement des projets (gigafactories d’électrolyseurs, de piles à combustible, de réservoirs). On aura donc besoin très majoritairement (à 80 %) d’ingénieurs et de développeurs d’affaires d’un niveau bac +5, ainsi que de quelques métiers techniques qui interviennent dans cette phase de conception. Le pic en matière de recrutement va intervenir dans trois ans. De 2026 à 2028 : le démarrage et la mise en service des projets feront progressivement monter le besoin en techniciens jusqu’à 40%, plus particulièrement pour la mobilité à l’avant-garde du déploiement des projets (véhicules, stations qui vont passer de 30 en 2023 à 225 en 205 puis 488 en 2030). Enfin, la période 2028-2030 sera celle de la stabilisation avec une filière industrielle qui fera appel à 80 % de techniciens pour exploiter et maintenir ses installations avec des profils aux niveaux de qualifications moins élevés.
Gagner en visibilité et attractivité
Les forts besoins en recrutement vont accentuer les tensions qui existent déjà dans le secteur de l’industrie. Elles portent sur pas moins de 80 métiers, dont 66 génèrent des tensions fortes, voire très fortes. 20 de ces métiers concentrent 80 % des offres d’emploi. Dans le top 3, on retrouve les chefs de projet, les commerciaux et les techniciens de maintenance. Se pose aussi la question de l’adéquation entre l’offre et la demande au niveau géographique. L’étude indique que plus de la moitié des offres d’emplois de la filière au sein des régions Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie et Bourgogne-Franche-Comté concernent les métiers de la conception, ingénierie, recherche et développement industriel. D’autre part, il y a encore trop peu de formations sur l’hydrogène : 216 ont été identifiées. Elles sont listées dans un annuaire qui va jusqu’au doctorat, en passant par le CAP, les Masters et diplômes d’ingénieurs. Moins d’une dizaine abordent les questions de sécurité. Autre problématique : 38 % des formations sont localisées dans le Grand Est et en région AURA. Pour remédier à ce déficit, une des solutions serait la mise en place d’un Observatoire des compétences et métiers de la filière hydrogène. Toutefois, le Président de France Hydrogène estime que ce rôle est déjà joué par le réseau des Carif-Oref. « Il ne faudrait pas recréer des structures qui existent par ailleurs. Arrêtons de travailler en silo », a lancé Philippe Boucly. Il est nécessaire d’apporter une connaissance des spécificités de l’hydrogène, tout en intégrant des compétences techniques transverses à l’industrie. Mais, les industriels souhaitent que les futurs salariés – de la conception aux usages – soient aussi sensibilisés à la réglementation et aux risques liés à l’hydrogène. L’objectif est de concilier ces deux exigences, de façon à dégager un socle commun fondamental pour tous les métiers.
Par ailleurs, la filière doit gagner en visibilité pour mieux se faire connaître et faire connaître ses besoins. Le secteur peut aussi aider à la reconversion d’emplois dans des secteurs en perte de vitesse ou appelés à évoluer (pétrole, gaz, sidérurgie, biens d’équipement). L’étude cite à ce propos Genvia à Béziers, qui a travaillé avec Pôle emploi à l’identification de demandeurs d’emploi et la création de modules de formation ad hoc. La filière devra aussi s’appuyer sur les régions et les dynamiques territoriales. Une conviction que partage pleinement Philippe Boucly. Il y aussi une dimension européenne à cette étude. Dans la mesure où de nombreux pays ont décidé eux aussi de se lancer dans l’hydrogène (Allemagne, Benelux, Espagne), l’étude pointe également le risque de concurrence dans les régions frontalières pour recruter des candidats aux compétences recherchées.
Au final, l’étude propose 10 mesures concrètes dont la création d’une fresque de l’hydrogène (pour sensibiliser aux différents métiers), un label formation sécurité H2, ou encore la création de CFA dédiés à l’hydrogène.
*France Hydrogène, AFPA, Pôle Emploi, EIT Innoenergy, RCO-Le Réseau des Carif-Oref, Adecco Digital France
En annexe, voici la liste des sociétés et organismes qui ont contribué à l’étude : Afpa Grand-Est, Air Liquide, Alca-Torda Applications, Akkodis, Apave, Atawey, Capenergies, Carif-Oref PACA, Caux Seine Agglo, Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI France), Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes, Conseil régional Bretagne, Conseil régional Grand-Est, Conseil régional Hauts-de-France, Conseil régional Pays de la Loire Fédération de Recherche sur l’hydrogène, CNRS, EcoCampus Provence Formation, EDF, ENGIE, Faurecia, GRTgaz, Helion Hydrogen Power by Alstom, Hopium, Hynamics, HysetCo, H2PULSE, H2V, H2X Ecosystems, Institut pour une Culture de Sécurité Industrielle (ICSI), Réseau IDELIS, l’IFP Énergies Nouvelles, Institut national des sciences et techniques nucléaires INSTN / CEA, Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), Lhyfe, le Mans Université, McPhy, Pays de Béarn / Territoire d’Industrie Lacq-Pau-Tarbes , Powidian, Qair, SNCF Groupe, Symbio et son académie, Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées, Université de Franche-Comté.