La situation d’approvisionnement en gaz de l’Union Européenne est marquée par une réduction progressive et très forte des expéditions de gaz russe par gazoduc. L’augmentation des importations de gaz norvégien et surtout de GNL a permis à l’Europe et à la France d’opérer une large substitution et de constituer des stocks de gaz à des niveaux plus élevés qu’en 2021.

En France, aujourd’hui, les stocks sont remplis à 95 % et devrait atteindre le maximum technique d’ici fin septembre. Cependant la situation d’approvisionnement pourrait être tendue cet hiver, en cas d’hiver rigoureux et de rupture totale des approvisionnements russes, la France étant cependant mieux positionnée que nombre de nos voisins. L’hiver 2023-2024 pourrait être encore plus difficile si les approvisionnements en provenance de Russie étaient totalement coupés.

La situation d’approvisionnement électrique pour l’hiver sera globalement complexe en Europe avec le risque de disponibilité sur le gaz, qui conduit de nombreux pays à rouvrir ou faire fonctionner plus longtemps les centrales à charbon. La France connaît par ailleurs une disponibilité historiquement faible du parc nucléaire, aggravée par les nécessités de réparation ou de contrôle sur le phénomène de corrosion sous contrainte. Si les centrales reviennent en fonctionnement selon le planning prévu la situation du parc nucléaire sera comparable à celle de l’hiver 2021-2022, avec toutefois des incertitudes sur le gaz et aussi sur le niveau des réserves hydroélectriques dans un contexte de sécheresse historique.

Dans ce contexte, les prix de marché sont très élevés sur le gaz, le pétrole, le charbon et l’électricité. Les prix du gaz connaissent eux une augmentation très forte depuis juin suite aux baisses successives des exportations russes et entraînent une hausse très forte des prix de marché de l’électricité.

Face à cette situation, un plan de résilience a été élaboré par le gouvernement et met en œuvre des actions pour diversifier notre approvisionnement en gaz, réduire notre consommation et améliorer notre sécurité d’approvisionnement tant en gaz qu’en électricité

L’ensemble des actions d’économies d’énergie, qu’elles soient transversales ou en cours d’élaboration avec différents secteurs d’activité au travers de groupes de travail initiés par la ministre de la transition énergétique, Agnès Panier Runacher, seront rassemblés dans un Plan Sobriété, qui sera publié début octobre.

En termes de protection des consommateurs, le Gouvernement a pris fin 2021-début 2022 plusieurs mesures successives, d’une ampleur inédite, face à la hausse des prix des énergies, initiée avant la crise et renforcée depuis. L’ensemble de ces mesures (y compris les chèques inflation et énergie exceptionnel) ont un coût estimé initialement à 24 Md€ sur 2022. La Première ministre a annoncé le 14 septembre dernier que le gouvernement continuerait cette action de soutien tant aux ménages qu’aux acteurs économiques en 2023, avec à la fois des mesures générales et des mesures ciblées sur les plus vulnérables.

La crise actuelle mais également nos engagements de neutralité carbone à l’horizon 2050 nous appellent à accélérer le rythme de déploiement des énergies renouvelables décarbonées pour assurer notre sécurité et notre souveraineté énergétique comme pour sortir de la dépendance aux énergies fossiles.

Un projet de loi d’accélération des ENR sera très prochainement soumis au Parlement. Il a notamment pour objectif de raccourcir les délais de mise en œuvre des projets de production d’ENR, en moyenne deux fois plus élevés que chez nos partenaires européens.

Le Président de la République a également annoncé à Belfort en février dernier son souhait d’une politique combinant un fort développement des énergies renouvelables et la relance d’une politique électronucléaire française ambitieuse et durable, avec un souhait de construction de six nouveaux réacteurs électronucléaires et du lancement d’études pour 8 autres.

En parallèle à cette accélération de la production d’énergies décarbonées, il convient de poursuivre et d’amplifier nos efforts de réduction des consommations. La sobriété et l’efficacité énergétiques doivent nous permettre de baisser d’ici 2040 de 40 % notre consommation d’énergie. Ces économies d’énergie reposeront sur l’évolution profonde et durable de nos comportements et sur la poursuite massive des rénovations des logements, du renouvellement de notre parc de véhicules automobiles, dont le paquet européen Fit For 55 fixe la fin de la vente des véhicules thermiques en 2035, et sur la décarbonation de notre industrie.

Enfin, je n’oublie pas les travaux préparatoires en cours pour la préparation de la loi de programmation énergie climat qui devra en 2023 définir nos orientations et objectifs à l’horizon 2033, compatibles avec l’objectif de neutralité carbone en 2050.

Cette situation a un impact très fort, parfois difficilement lisible, sur les projets de développement de l’hydrogène. La rareté et l’augmentation des prix du gaz, qui pourraient se poursuivre, rendent a priori plus attractive le développement de l’électrolyse. Toutefois, la situation conjoncturelle de nos moyens de production d’électricité et l’augmentation des prix, actuellement fortement corrélé aux prix du gaz peut avoir un impact négatif. Néanmoins, je reste persuadé que la situation actuelle renforce les sous-jacents de notre Stratégie nationale pour l’hydrogène décarboné : renforcement de notre indépendance énergétique et technologique, accélération de la sortie de l’hydrogène d’origine fossile, production par électrolyse de l’hydrogène, à partir de notre mix électrique renouvelable et nucléaire.

Je pense toutefois qu’il faut se garder d’un discours qui pourrait laisser croire que l’hydrogène pourrait se substituer instantanément au gaz naturel importé de Russie : le temps nécessaire au développement de l’hydrogène ne permettra pas de traiter le problème actuel, et, par nature, les usages de l’hydrogène seront fondamentalement assez différents de ceux du gaz naturel. Il faut aussi éviter que des décisions prises dans l’urgence conduisent à des verrouillages socio-techniques

A ce titre, je ne suis pas persuadé que l’ensemble des ambitions affichées soit parfaitement réaliste et favorable au développement d’une filière européenne. Nous sommes d’ailleurs, à ce sujet, très attentif à ce que les textes européens permettent effectivement le développement de l’hydrogène bas-carbone et ne conduise pas à une concurrence déséquilibrée en faveur des projets d’importations d’hydrogène.

Je pense donc que notre Stratégie nationale reste d’actualité. A ce titre, depuis le lancement de la stratégie hydrogène, deux premiers appels à projets avaient été lancés :

  • L’appel à projets « écosystèmes territoriaux » porté, dont le budget a été complété grâce à France 2030. Les trois relèves en 2020 et 2021, portant nos aides à 229 M€, permettent des investissements cumulés des industriels de 1 000 M€, et de contractualiser 90 MW d’électrolyse, ainsi que le déploiement de flottes de véhicules hydrogène. Le troisième relevé de l’appel à projets a été très riche avec une compétition rude entre les projets.
  • L’appel à projet « Briques technologiques » a déjà permis de contractualiser 15 projets pour 63 M€ d’aide, conduisant à des investissements de 273 M€. Il permet par exemple de soutenir un projet de la société SAFRA à Albi pour le développement d’une nouvelle génération de bus à hydrogène, en améliorant la compétitivité de la chaine de production.

Le Projet Important d’Intérêt Européen Commun (PIIEC) hydrogène est un levier essentiel de notre stratégie. Le Gouvernement a prévu d’y consacrer plus de 3 Mds€. Ce dispositif permet de soutenir des projets majeurs de production d’électrolyseurs, de développement d’équipements clés pour la mobilité et de production d’hydrogène pour la décarbonation de sites industriels. La Commission européenne a approuvé le 15 juillet la première vague du PIIEC hydrogène, nommée « Hy2Tech ». Parmi les 41 projets sélectionnés, 10 sont français, faisant de la France le pays le mieux représenté de cette première vague.

Deux mesures de soutien spécifiques visent enfin à compenser les coûts plus élevés de l’hydrogène décarboné par rapport à l’hydrogène fossile :

  • La loi de finance 2021 intégrait déjà un dispositif de soutien au secteur du raffinage. À partir de 2023, l’hydrogène renouvelable utilisé pour le raffinage en France des produits pétroliers en carburants, générera des crédits permettant de réduire la taxe relative à l’incorporation des énergies renouvelables. Des réflexions sont en cours pour renforcer ce dispositif.
  • Un mécanisme de soutien à la production d’hydrogène décarboné, prévu par l’ordonnance du 17 février 2021, a été prénotifié à la Commission en février 2022. Ce mécanisme permettra de soutenir les projets les plus efficaces de production industrielle d’hydrogène en vue d’usages directs pour décarboner l’industrie ou la mobilité intensive. Les premiers appels d’offres seront lancés en 2022 au plus tôt, après approbation du dispositif par la Commission.

Notre principal enjeu collectif est donc de poursuivre la mise en œuvre de notre Stratégie et de permettre la montée en puissance effective de la production industrielle de composants pour l’hydrogène, puis la production d’hydrogène décarboné. La mobilisation très forte et collaborative de tous les acteurs privés et publics qui est en place depuis quelques années désormais sera plus que jamais nécessaire pour réussir ce projet stratégique.


Laurent MICHEL, Directeur général de l’énergie et du climat (DGEC), Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires