Des ambitions revues à la hausse pour 2030
« 2022 a été une année exceptionnelle par son caractère dramatique » a indiqué en préambule Philippe Boucly, le Président de l’association, faisant référence au conflit en Ukraine et son impact sur la filière. Il a rappelé quelques faits marquants, comme le programme RePowerEU qui accorde une large place à l’hydrogène, mais aussi l’IRA (Inflation Reduction Act) du Président américain Joe Biden, créant une distorsion en matière de concurrence. Dans ce « contexte lourd », Philippe Boucly a salué le succès du salon HyVolution (le plus important en Europe) et la dynamique des Journées Hydrogène dans les territoires. Il s’est également félicité de la part importante de la France dans les PIIEC (10 projets pour Hy2Tech et 2 pour Hy2Use). Toutefois, il reconnaît que « les projets ont du mal à sortir de terre, car le cadre n’est pas encore défini ».
Ces propos liminaires ont été complétés par Uwe Remme, responsable du secteur de l’hydrogène, au sein de l’Agence Internationale de l’Energie. Il a évoqué un « momentum » pour l’hydrogène, avec une demande qui sera multipliée par 5 d’ici 2050 d’après le scénario « Net Zero » de l’agence. Se félicitant des nombreuses initiatives dans le secteur de la mobilité (train, camion, bateau), il a souligné le nombre important de projets dans le domaine de l’hydrogène bas-carbone, avant de mentionner les pays souhaitant s’engager dans l’exportation d’hydrogène renouvelable. A partir de 2030, ces derniers pourraient fournir 12 millions de tonnes (l’Europe en a besoin de 10), même si des incertitudes persistent sur un tel niveau de production.
D’ailleurs, le Président de Hydrogen Europe, Jorgo Chartzimarkakis, a fait part de la colère des Egyptiens lors de la COP27, qui se demandent où sont les clients. Pour lui, « il faut être prudent », « se demander où est la demande » et ne pas négliger les menaces qui viennent des Etats-Unis (avec l’IRA qui attire la production à bas coût) et la Chine qui dépasse déjà l’Europe en matière d’électrolyseurs. Il a confié « en avoir marre » d’entendre les critiques sur le faible rendement de l’hydrogène, alors que celui de la photosynthèse (qui consiste à transformer l’énergie lumineuse en énergie chimique) n’est que de 3 %. « On devrait s’inspirer de la nature » a-t-il déclaré pour clore cette parenthèse.
Objectif confirmé de plus d’1 million de tonnes d’hydrogène en 2030
Philippe Boucly est ensuite intervenu afin de présenter la dernière étude de France Hydrogène dévoilée à l’occasion de l’Assemblée générale : le deuxième volet de l’étude Trajectoire pour une grande ambition Hydrogène à 2030 confirmant le scénario Ambition + et mettant en avant le rôle prépondérant de l’industrie par rapport à la mobilité, avec notamment la poussée des molécules de synthèse.
Par rapport au premier volet, présenté en septembre 2021 lors des Journées Hydrogène dans les territoires de Dunkerque, la nouvelle étude confirme globalement deux chiffres : un volume de 1 070 000 tonnes d’hydrogène en 2030, dont 230 000 tonnes pour la mobilité. En revanche, l’industrie est bien au-dessus des prévisions avec 815 000 tonnes, dont 425 000 tonnes de molécules de synthèse (205 000 t de méthanol et de 165 000 t d’e-fuels pour l’aviation). On relève également que la production d’acier décarboné est engagée avec un volume prévisionnel de 250 000 t.
Le secteur de l’énergie semble moins prometteur que prévu. Toutefois, le Président de France Hydrogène, Philippe Boucly, pointe le fait que la crise actuelle rebat les cartes. D’ailleurs, RTE devrait lancer une étude en 2023 pour estimer l’apport de l’hydrogène au réseau électrique. A ce propos, l’éolien en mer et les groupes électrogènes hydrogène pourraient jouer un rôle.
S’agissant de la mobilité, l’objectif est bien d’atteindre, sinon de dépasser le millier de stations en 2030 (de 1 000 à 1 700 selon France Hydrogène, 900 selon une autre étude réalisée avec la PFA et l’IRT System X). L’objectif intermédiaire est de 225 stations en 2025.
Philippe Boucly a évoqué un facteur 1000 s’agissant des véhicules. On en dénombre actuellement 400, alors qu’il en faudrait 450 000 en 2030. L’étude indique que 230 bus sont en cours de déploiement et que l’ambition est d’atteindre le seuil du millier. Concernant les utilitaires, l’objectif en France est de sécuriser un volume de 50 000 VUL en 2026, grâce à une combinaison des commandes publiques et privées. M. Boucly a par ailleurs évoqué les trains, qui devraient être au nombre de 250 d’ici la fin de la décennie, dont la plupart transformés par rétrofit. Il a aussi été pointé le fait que les écosystèmes restaient de taille modeste, malgré une moyenne de 15 à 25 projets par région. 80 % des volumes seront réalisés à travers 24 projets. Il faudra prévoir l’infrastructure pour le stockage et la distribution jusqu’aux lieux de consommation. Des équipements spécifiques seront nécessaires pour l’aérien et le maritime lourd, ces deux secteurs hésitant encore entre l’hydrogène et les carburants de synthèse.
Au chapitre de la production, France Hydrogène indique qu’il faudra 50 TWh d’énergies renouvelables, ce qui suppose de développer ces ressources et de faire appel également au nucléaire. L’association précise au passage que les volumes d’eau (9 kg pour 1 kg d’hydrogène) ne représenteront que 0,2 % de la consommation globale en France en 2030. Le recours à la biomasse, aux déchets et aux systèmes de production avec séquestration de carbone seront aussi nécessaires pour répondre aux besoins.
L’étude appelle également à finaliser la réglementation, enjeu majeur pour le développement des projets. Outre le rôle des PIIEC (3 et 4ème vagues), il apparaît nécessaire d’intégrer l’hydrogène bas-carbone et de définir des règles d’équité entre l’hydrogène produit localement et celui importé. En France, il faudrait clarifier les définitions pour l’hydrogène renouvelable et bas carbone. Un décret serait aussi nécessaire pour les garanties d’origine et la traçabilité.
Une stratégie nationale réactualisée
Suite à cette présentation, Roland Lescure, ministre chargé de l’industrie est intervenu afin d’annoncer la volonté du Président Macron de faire évoluer la stratégie nationale hydrogène. Ce programme de travail, qui devra déboucher d’ici la fin du premier semestre 2023, s’inscrit désormais dans un contexte de crise énergétique.
La volonté est de proposer un schéma opérationnel pour les hubs hydrogène. La mutualisation de la production dans ces hubs doit permettre une baisse des coûts et favoriser le développement d’activités industrielles décarbonées. L’accès de ces hubs à une électricité décarbonée est également un enjeu de ce travail. Les grands électrolyseurs devront être en mesure de conclure des contrats de long terme compétitifs avec les fournisseurs d’électricité.
Cette stratégie devra également prévoir la maîtrise des équipements liés à l’hydrogène qui permettront à la France de s’assurer une position cruciale sur un marché mondial en croissance rapide. Le ministre Roland Lescure a évoqué la question des réseaux et des économies d’échelle qui devront rendre l’hydrogène produit localement compétitif, par rapport à celui qui sera importé à l’horizon 2030. Il croit à un « modèle à la française ».
Le témoignage des industriels
Par la suite, un panel a permis à trois représentants de l’industrie d’exposer leur point de vue. Nicolas de Warren, Président de l’Uniden (Union des Industries Utilisatrices d’Énergie), a expliqué que l’hydrogène était un sujet essentiel et se félicite que l’industrie ait été identifiée comme cœur de marché. Néanmoins, il est vital pour les entreprises d’avoir accès à une électricité décarbonée à un prix compétitif.
Pour sa part, Luc Chatel, Président de la PFA (Plateforme de la Filière Automobile) n’a pas manqué de pointer « le sabordage industriel décrété par l’Europe, qui a choisi une technologie sur laquelle les chinois ont dix ans d’avance et sans prendre en compte l’analyse du cycle de vie ». Il estime que l’hydrogène est une « solution très intéressante » et que la filière automobile compte justement « des entreprises en pointe dans l’écosystème ». Il a cité notamment Forvia, Plastic Omnium et Symbio. Un soutien des pouvoirs publics est cependant nécessaire, car si l’écart entre la batterie et le moteur thermique est de 50 %, l’écart est de 1 à 10 pour la pile à combustible. Luc Chatel appelle aussi à un effort pour le déploiement de stations, tout comme pour les bornes dans l’électrique.
Enfin, Marie Godard-Pithon, directrice de la performance chez Vicat, a évoqué les projets de cette entreprise familiale, qui s’engage dans la décarbonation de la production de ciment, béton et granulats. Il a été question notamment du projet Hynovi (en partenariat avec Hynamics), qui prévoit 330 MW d’électrolyse et le captage de 300 000 tonnes de CO2 pour la production de 250 000 tonnes de méthanol. « Il n’y a pas d’équivalent en Europe », a-t-elle souligné. Le groupe s’investit auprès de Genvia (dont il est l’un des actionnaires) et auprès d’Hympulsion pour l’installation d’une station à hydrogène pour la mobilité lourde à Grenoble.
La parole aux collectivités
Une table ronde consacrée aux territoires a clôturé la matinée de conférences. Jean-Luc Fugit, député du Rhône, qui s’est d’abord félicité d’une instance telle que France Hydrogène pour fédérer la filière, a plaidé en faveur d’actions concrètes. Il a également appelé à ne pas oublier les ruraux qui, dans un souci de cohésion, doivent également pouvoir profiter des nouvelles énergies.
Patrick Lavarde, Président de l’Ademe, a rappelé que l’agence intervient sur les démonstrateurs. Elle apporte son soutien aux gros projets comme Hynovi et les gigafactories, ainsi qu’aux infrastructures pour le transport de l’hydrogène. A ce jour, 47 projets sont mis en œuvre, pour un total de 330 M€ d’aides publiques, et contribueront au développement de 110 stations, ainsi qu’à la mise à la route de 700 véhicules. Patrick Lavarde a également annoncé que l’appel à projets sur les écosystèmes serait renouvelé en 2023, avec bonus de 10 % quand l’électricité est d’origine renouvelable. Il a aussi fait mention d’un AMI pour les stations indépendantes (il y en 3000 sur le territoire), qui pourrait assurer leur reconversion en s’équipant de bornes électriques ou de stations d’hydrogène. Il a enfin mentionné l’appel à projets Zones Industrielles Bas Carbone (ZIBaC), avec 2 projets retenus à Fos-sur-mer et à Dunkerque. « Il faut jouer sur toutes les touches du piano », a-t-il souligné.
Olivier Blond, délégué spécial à la lutte contre la pollution de l’air et à la santé environnementale, au sein de la région Ile-de-France, a déclaré pour sa part que l’hydrogène était un « axe majeur ». En Ile-de-France, il y a des enjeux autour de la mobilité, pour des questions de qualité de l’air et de réduction du bruit. Les usages visés sont les taxis, la logistique et les bus. La volonté est d’agir plus fort, en travaillant avec l’écosystème. A ce propos, un Club H2 a été créé avec le soutien de l’Ademe et compte 250 membres. « Il faut massifier » a déclaré par ailleurs Olivier Blond, avec cette formule : « Big is beautiful ». Il y aura bientôt 47 bus en Ile-de-France et le nombre de stations passera de 6 à 25.
A distance, Laurent Favreau, Président du Sydev en Vendée, a rappelé que le département a contribué à créer la société nantaise Lhyfe, productrice d’hydrogène renouvelable, qui sera en mesure de livrer plus d’une tonne d’hydrogène en 2023. Le projet de Lhyfe a bénéficié d’un soutien important de l’Ademe dans le cadre du projet H2 Ouest. Cet hydrogène est acheminé jusqu’à La Roche-sur-Yon, dans une station multi énergies pour une consommation locale. Par conviction, la Vendée poursuit le déploiement. Les collectivités s’engagent à acheter des bus à hydrogène et s’investissent également dans le rétrofit. Le département est allé chercher les industriels pour trouver des débouchés. Laurent Favreau a toutefois pointé le problème du maillage territorial. « Cela fonctionne avec les bornes, pas avec l’hydrogène quand on veut faire des grandes distances », a-t-il souligné.
Pour sa part, Jean-Patrick Masson, Vice-Président de Dijon métropole, a regretté des lenteurs. Alors que le projet a débuté fin 2018 et que la station est pratiquement achevée, les bus et les bennes à ordures ont été commandés mais ne sont pas encore là. Il a aussi évoqué le coût de l’électricité qui est un sujet majeur. Sur ce point, Jean-Luc Fugit a fait part de son espoir d’achever d’ici la fin d’année l’examen du projet de loi sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables.
En conclusion, les intervenants ont plaidé pour une extension aux autres modes. Ainsi, la métropole de Dijon est en discussion avec la SNCF pour étudier la conversion à l’hydrogène des motrices de fret. Il a été question de transport multimodal et d’applications dans le fluvial en région Ile-de-France, qui est concernée par l’axe Seine. La Vendée se projette aussi vers le maritime, sans oublier de mentionner les éoliennes en mer qui apporteront demain trois fois plus d’énergie.
La matinée a été résumée en ces termes par Philippe Boucly. « On a fait du chemin et nous sommes au camp de base. Mais, nous avons encore l’Everest devant nous ».