Camion à hydrogène : les industriels avancent leurs pions
Commençons ce tour d’horizon pour l’Europe. Alors que Daimler Truck a déjà eu l’occasion de présenter son camion GenH2, c’est au tour de son partenaire Volvo de sortir du bois. Après avoir roulé près du cercle polaire, au nord de la Suède, les camions à hydrogène du constructeur suédois ont débuté des tests sur des routes publiques. La première phase a permis de confronter la technologie avec les conditions climatiques rudes que sont la neige et la glace. « Les camions ont roulé 7 jours sur 7 », a révélé Helen Alsio, la Vice-Présidente en charge des motorisations chez Volvo Trucks. « Les tests ont confirmé ce que nous avions déjà constaté en simulation et sur notre piste près de Göteborg ». Pour le constructeur, qui propose déjà 6 modèles de camions électriques, il n’y a pas lieu d’opposer la batterie à la pile à combustible. Les camions à hydrogène sont plus adaptés au transport longue distance et permettent de pallier l’absence d’infrastructures de recharge en milieu rural. Partenaire de Daimler Truck, qui fournit les piles, Volvo Trucks prévoit de lancer ce type de technologie dans la seconde moitié de la décennie.
Un autre acteur majeur du transport routier en Europe, Iveco, se lance aussi sur le marché. Il s’est associé avec Nikola Motors, avec qui il avait créé une co-entreprise en 2019. Iveco reprendra finalement l’intégralité de la société, basée à Ulm en Allemagne. La filiale du groupe CNH Industrial assumera le développement de ses camions électriques et à hydrogène. Iveco exploitera du logiciel qu’elle pourra intégrer sous licence sur les véhicules développés en commun.
Pour le moment, c’est Hyundai qui domine le marché avec sa flotte de camions qui a cumulé plus de 5 millions de km en Suisse. Le constructeur coréen a aussi entamé des livraisons en Allemagne. Plus surprenant, Toyota va passer par la case retrofit. Le constructeur japonais va fournir sa pile au groupe VDL (connu pour ses bus et autocars), dont une filiale est spécialisée dans l’électrification en petite série de véhicules routiers. En l’occurrence, il s’agit d’adapter à l’hydrogène des camions qui vont servir pour ses propres besoins dans le domaine de la logistique (transport de véhicules, de composants et de pièces détachées) en Europe, à partir de l’automne. Le premier exemplaire sera prêt dès cet été. Pour Toyota, c’est un levier pour atteindre la neutralité carbone qu’il vise à l’horizon 2040. C’est à la fois un moyen pour le géant japonais d’avoir un retour d’expérience sur les camions à hydrogène (s’il souhaite se lancer plus en avant dans cette activité) mais aussi de faire émerger une infrastructure d’avitaillement. Toyota estime que les stations pour camions peuvent servir de point de départ pour alimenter à terme les voitures. A ce propos, on peut rappeler que TotalEnergies a annoncé son intention de déployer 100 stations à hydrogène pour camions en Europe.
En France, des acteurs proposent des camions et des stations
En France, un écosystème va se mettre en place grâce à Inovyn. La filiale du groupe Ineos va investir dans son site de Tavaux (Jura) pour produire de l’hydrogène et alimenter ainsi le transport régional. Dans les deux cas, à travers le projet « ReadHy to move », qui va concerner tout l’Est de la France, Inovyn va collaborer avec le groupe Inthy et son allié suisse Alpiq. Dans le cadre d’une première joint-venture, HyMove, les partenaires investiront dans un nouveau réseau de distribution d’hydrogène pour le transport lourd en région Bourgogne-Franche-Comté. Les stations seront alimentées par une partie de l’hydrogène produit à Tavaux. Inovyn est le plus grand opérateur de technologie d’électrolyse en Europe et produit à ce titre plus de 10 000 tonnes d’hydrogène décarboné sur son site jurassien. L’investissement prévu dans de nouveaux systèmes de purification et de compression permettra de proposer à partir de 2026 de l’hydrogène avec une qualité en phase avec les besoins dans les transports. HyWay, une deuxième joint-venture entre le groupe Inthy et Alpiq, proposera également des camions à hydrogène payants aux entreprises de la région qui veulent décarboner leur logistique. On peut également citer Hyliko parmi les offreurs de solutions. La société propose à la fois des camions (avec GreenGT) et des stations avec l’hydrogène renouvelable et à carbone négatif qui va avec (dans le cadre de sa filiale CarbonLoop). Le groupe Vallée lui a commandé deux véhicules pour 2024 et en prévoit une cinquantaine d’autres d’ici à 2030.
Nikola se recentre sur les Etats-Unis
Le jeune constructeur américain, qui a cédé ses parts de 50 % dans la co-entreprise qu’il avait avec Iveco en Europe, ne part pas les mains vides. Nikola pourra en effet utiliser sous licence la technologie de l’Iveco S-Way, ainsi que les essieux électriques développées par FPT (Fiat Powertrain Technologies). Pour des raisons financières, la compagnie américaine a décidé de se recentrer sur son marché d’origine, où elle entend proposer des camions et l’infrastructure de charge, dans le cadre de sa marque Hyla. L’hydrogène devient d’ailleurs une priorité. Alors que la demande reste faible pour les camions électriques à batterie, l’intérêt est plus grand pour le Nikola Tre FCV. La marque annonce avoir reçu 140 commandes pour son camion à pile à combustible, en provenance de 12 clients. La production en série va débuter à partir de juillet. Du côté des stations, un accord avec la société Voltera prévoit le déploiement de 50 points de recharge. Nikola entend profiter de la dynamique enclenchée par l’IRA (Inflation Reduction Act) au niveau fédéral et par les législations mises en place par des Etats (Californie, New York, New Jersey, Colorado, Washington) qui veulent promouvoir le zéro émission. Le contexte n’a pas échappé à Hyundai, dont le camion à hydrogène Xcient de Hyundai entre officiellement sur le marché américain. Le premier exemplaire a été présenté à l’occasion d’ACT Expo, un salon dédié aux carburants alternatifs organisé à Anaheim, en Californie. Pour sa part, le constructeur américain Kenworth, qui fête cette année ses 100 ans d’existence, lance la production du T680 FCEV, son nouveau camion à hydrogène de classe 8. Ce véhicule est équipé d’un module comportant deux piles à combustible de Toyota et de six réservoirs permettant de parcourir jusqu’à 720 kilomètres. Le fabricant français de piles à combustible Symbio est aussi à l’affût des opportunités offertes par le marché américain. Il doit notamment installer une usine en Californie.
La Chine plus dynamique que le Japon
Du côté du Japon, on a appris qu’Isuzu va confier à Honda le développement et la fourniture du système de pile à combustible qui sera utilisé à bord de son futur camion à hydrogène. Associés dans le domaine de la pile à combustible depuis 2020, les deux industriels renforcent leur partenariat. Selon les termes d’un nouvel accord, Honda fournira le système de pile à combustible du camion à hydrogène qu’Isuzu prévoit de commercialiser en 2027. Les tests d’un premier démonstrateur sur routes ouvertes devraient débuter d’ici quelques mois. L’annonce est d’autant plus surprenante qu’Isuzu est également lié à Toyota dans le cadre du CJPT (Commercial Japan Partnership Technologies). Leur accord comprend le déploiement de camions électriques et à hydrogène. En tout cas, c’est la Chine qui paraît jouer le rôle de locomotive. Il existe plusieurs constructeurs locaux qui proposent déjà des camions. Et deux équipementiers européens, Bosch et Plastic Omnium, entendent bien profiter de ce marché XXL. Pour avoir une idée des volumes, il faut savoir qu’un groupe spécialisé dans la production d’acier et de fer, Jinnan, annonce sa volonté de déployer 10 000 camions à hydrogène pour décarboner ses activités. Il aura 1 000 camions cette année, 2 000 en 2024 et 7 000 en 2025. Ces camions à pile à combustible remplaceront des véhicules Diesel. Un autre producteur d’acier, Hbis Group, va déployer 500 camions cette année. Les groupes Baowu, Rockcheck et Delong ont pris des engagements similaires.