La place de l’hydrogène dans le système énergétique : avis d’experts et de politiques
Une série d’interventions d’experts de l’énergie a permis de mettre en évidence que l’hydrogène aura sa place quoi qu’il arrive pour la décarbonation. Mais, il y a encore des incertitudes sur son ampleur, en particulier dans la mobilité. Le débat a tourné aussi autour de la production de masse versus l’importation qui risque de remettre en cause la souveraineté.
Le premier à intervenir était David Marchal, directeur exécutif adjoint de l’expertise et des programmes de l’ADEME. Il a évoqué les 4 scénarios de neutralité carbone à l’horizon 2050. Ce sont 4 visions différentes de la société, qui ont respectivement pour nom Génération frugale, coopérations territoriales, technologies vertes et pari réparateur. Elles vont du local au global. Il a été rappelé que la neutralité carbone était un chemin difficile, avec des paris humains ou technologiques.
Selon les scénarios, l’hydrogène peut être un levier pour la décarbonation du gaz, une source d’alimentation pour la mobilité (y compris pour des carburants de type power to liquids pour l’aviation) et l’industrie, un moyen de stockage pour les énergies renouvelables ou un vecteur d’énergie concurrencé par d’autres technologies dans les batteries et les pipes de CO2. Le scénario 3 prévoit 93,9 Twh d’hydrogène, dont 48 importés et un stockage de 55 Twh dans des cavités salines.
« L’hydrogène est incontournable quel que soit le scénario, et sa consommation va être multipliée par 1,7 ou 4,8 par rapport à 2019 d’ici 2050 », a souligné David Marchal. Mais, il déclaré dans le même temps que « le chemin de crête pour l’hydrogène est à dessiner, en complément avec le gaz et les batteries ». « Ce n’est pas l’alpha et l’omega de la neutralité carbone », s’est-il exclamé. Selon lui, « la décennie sera cruciale pour rendre l’électrolyse compétitive ». Par ailleurs, il a émis quelques réserves sur les applications de l’hydrogène pour les carburants et les engrais, en se demandant quel était leur avenir.
Dans la foulée, Thomas Veyrenc, directeur exécutif de RTE, a enchaîné avec les scénarios « Futurs énergétiques 2050 ». Là aussi, l’hydrogène a sa place dans tous les scénarios, au nombre de 6.
« C’est un secteur qui est devenu brusquement populaire, alors que personne ne l’attendait il y a seulement 5 ans », a-t-il déclaré en préambule. « Le grand défi est de passer rapidement à l’échelle, dans la décennie à venir », a-t-il poursuivi. Pour cela, de gros électrolyseurs seront nécessaires à proximité des zones industrielles. RTE a déjà reçu des demandes de connexion au réseau. Plusieurs défis seront à relever, avec d’une part la production d’électricité bas carbone (avec plus d’énergies renouvelables), mais aussi la question du stockage.
M. Veyrenc a indiqué que l’hydrogène pourrait permettre de stocker de grandes quantités d’énergie décarbonée, d’une année sur l’autre. A l’abri dans des cavités salines (en France ou à l’étranger ?), ces stocks pourraient être acheminés par des infrastructures de gaz et traités par des centrales thermiques. Si les scénarios de RTE se basent sur une production essentiellement assurée sur le territoire national, la question de l’importation se pose si on vise une consommation de 150 Twh en 2050. La France devra choisir entre devenir un gros producteur d’hydrogène vert ou un importateur.
« C’est l’économie qui mettra tout le monde d’accord », a tranché Philippe Boucly, Président de France Hydrogène, faisant référence à l’hydrogène gazeux, liquide (dont la forme LOHC liquide organique), et au méthanol.
De toute évidence, l’hydrogène va se développer dans l’industrie. On a pu en avoir un aperçu d’abord chez ArcelorMittal. Dans une vidéo, Emmanuel Deneuville, directeur du programme de décarbonation, a expliqué que l’hydrogène permettait de faire fondre le minerai de fer. L’objectif est de recycler ainsi deux millions de tonnes d’acier par an, l’opération permettant par ailleurs de capturer les molécules du CO2 résiduel dans les aciéries. Si l’exemple pris était celui de Dunkerque, le groupe prévoit des projets-pilotes un peu partout dans le monde.
Borealis, un groupe chimique se consacrant aux plastiques et aux fertilisants, est ensuite intervenu. Alors que le groupe privilégiait jusqu’à présent l’hydrogène bleu (production d’ammoniac par capture et stockage de CO2), l’objectif est dorénavant de se diriger vers le renouvelable par électrolyse. Le responsable climat et énergie, Bertrand Walle a mentionné un projet en Alsace à Ottmarsheim, en partenariat avec Hynamics. Le projet porte sur un électrolyseur de 30 MW, afin de produire 24 000 tonnes par an d’ammoniac bas carbone. Borealis pense que le modèle économique est de procéder à un couplage sectoriel, par exemple avec de la mobilité lourde. Le groupe chimique appelle de ses vœux des électrolyseurs d’une taille industrielle pour aller plus loin, en visant plus de 300 MW.
Le partenaire de ces industriels sera peut-être un jour Lhyfe. L’ex-start-up, en passe de devenir une « licorne verte » multiplie les projets. Ghislain Robert, en charge du développement, a bien évoqué le site de production de Bouin, en Vendée, qui produit de l’hydrogène vert directement à partir de trois éoliennes de 2,5 MW et en utilisant de l’eau de mer (ensuite dessalinisée) comme matière première. On a appris au passage que 10 m3 permettaient de produire 1 kg d’hydrogène, Lhyfe rejetant ensuite une eau un peu plus salée dans la mer. Ce projet mené avec le Sydev est en avance sur le tableau de marche, puisque l’électrolyseur d’1 MW basculera à 2,5 MW bientôt. La PME nantaise prévoit de passer à une tonne par jour dès 2022, l’hydrogène produit sera ensuite acheminé vers des stations en Vendée, Loire-Atlantique et dans la Sarthe.
Au-delà de la mobilité, Lhyfe entend aussi répondre aux besoins des industriels. La société se développe également dans l’éolien en mer avec des partenaires. Elle accompagne d’ailleurs des pétroliers qui vont désormais produire de l’hydrogène. La société, qui ouvre des filiales en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suède, au Danemark, et en Europe du sud, embauche une personne par semaine. Son objectif est d’économiser un milliard de tonnes de CO2.
Pout clôturer cet éclairage sur la transition énergétique, France Hydrogène avait convié un représentant de l’Etat. Jérôme Brouillet, Secrétaire général adjoint des affaires européennes au SGAE (Secrétariat Général des Affaires Européennes, un organisme rattaché à Matignon) est intervenu sur le rôle de la France qui prendra pendant 6 mois la Présidence de l’Union Européenne. L’hydrogène, qui est pris en compte dans la vision française, fera partie des sujets abordés lors des prochains mois, que ce soit dans le cadre des IPCEI, du paquet gaz, la révision des réseaux transeuropéens d’énergie ou du fameux Fit for 55 porté par Ursula von der Leyen. A ce propos, on a bien compris qu’il y avait un débat entre l’hydrogène vert et l’hydrogène bas carbone. Pour sa part, la France sera vigilante sur l’autonomie stratégique. Autrement dit, et cela a été dit par M.Brouillet, « il ne s’agit pas de remplacer la dépendance au gaz vis-à-vis de la Russie par une autre dépendance vis-à-vis d’autres partenaires….
Si la conférence a laissé la parole aux experts de la filière, le débat se voulait également politique. Les représentants des candidats à l’élection présidentielle 2022 sont ainsi intervenus sur la place de l’hydrogène dans la future politique énergétique française alors que France Hydrogène dévoilait dans le même temps son livre blanc Présidentielle 2022.
Un livre blanc à destination des candidats à la présidentielle 2022
France Hydrogène a publié un livre blanc pour la présidentielle 2022 avec pour objectif que la France devienne un leader de l’hydrogène renouvelable ou bas-carbone à 2030. Ce document contient 10 propositions à l’attention des candidats à la présidence de la République.
En préambule, le Président de France Hydrogène Boucly, a souligné que « le quinquennat serait déterminant pour décollage de la filière hydrogène ». Il a rappelé le contexte actuel avec en Europe le paquet Fit for 55 (interdiction du moteur thermique en 2035) et la loi climat en France. Il a aussi fait référence au scénario Ambition + pour 2030, avec des ambitions revues à la hausse de 50 %.
« La révolution est en marche, avec 30 pays qui ont une stratégie sur l’hydrogène », s’est exclamé M. Boucly. Et de citer l’exemple des Etats-Unis, avec Joe Biden qui a décidé de mettre en place un programme ambitieux d’infrastructures pour les énergies alternatives. L’Allemagne, qui a une nouvelle coalition au pouvoir, souhaite aussi développer davantage l’hydrogène. « La France peut se maintenir dans le peloton de tête », estime le Président de l’association… Mais, à condition d’appliquer le contenu du livre blanc de France Hydrogène, qui content 10 propositions sur 5 axes.
Le timing était parfait, car la Présidentielle a déjà démarré. Mais, hélas, l’affiche a été moins prestigieuse que prévu du côté des représentants des candidats. Il n’y avait que deux intervenants : Jean-Charles Colas-Roy, député de l’Isère pour la République en Marche, et Jean-Philippe Tanguy, directeur de campagne adjoint au cabinet de Marine Le Pen. « On avait prévu une table ronde plus large », a lâché Philippe Boucly, qui en a profité pour lancer « un coup de gueule », regrettant que d’autres représentants de candidats ne se soient pas déplacés.
Parmi les présents, Jean-Charles Colas-Roy ne s’est pas privé de tacler au passage certains partis. « Europe Ecologie Les Verts et la France Insoumise prônent une décroissance et une sobriété qui ne sont pas compatibles avec la réindustrialisation », estime-t-il. Il a plaidé pour une « écologie qui ne repose pas que sur la contrainte », qui « favorise le développement économique et donne la perception aux citoyens et aux collectivités qu’elle leur profite ». Le député de l’Isère a ensuite rappelé qu’il s’est passé beaucoup de choses en cinq ans, depuis le plan Hulot. Il a fait référence au groupe d’études de l’Assemblée Nationale – un clin d’œil à Michel Delpon qui était dans la salle. La position de LREM est un soutien à l’innovation, afin de développer les usages et la demande. M. Colas-Roy reconnaît que l’Allemagne est en avance. C’est la raison pour laquelle le parti majoritaire souhaite développer les acteurs de la mobilité, ainsi que l’infrastructure. Par contre, il a estimé que l’importation d’hydrogène n’était pas la « meilleure stratégie ».
En face pour le Rassemblement National, Jean-Philippe Tanguy, qui est un ancien de General Electric, a montré qu’il connaissait bien le secteur de l’énergie. En préambule, il a fait part de son « plaisir de voir que l’hydrogène a sa place dans le débat ». Il a fait remarquer au passage que le parti croit en son potentiel, et qu’il figure « depuis 2012 au programme de Marine Le Pen pour des questions de souveraineté ». « Ce n’est pas la solution miracle contre la crise », a-t-il tempéré, mais « on peut produire localement, par opposition à la mondialisation ». Très vite, M. Tanguy a fustigé ensuite l’irrationalité des stratégies en matière d’énergie, pointant l’échec du solaire et surtout des éoliennes : « une impasse dans certaines zones d’Europe ». Il s’est montré un très chaud partisan du nucléaire de 4e génération, en plaidant pour un plan Messmer* bis. Jean-Philippe Tanguy a trouvé le livre blanc « intéressant » et pense que l’hydrogène permet de jouer le coup d’après, après les batteries. Il estime néanmoins qu’il sera nécessaire d’arriver à une rupture dans les matériaux.
*du nom de l’ancien Premier Ministre qui, en 1974, avait annoncé un plan qui a donné naissance à un véritable parc nucléaire