• On voit se développer un certain nombre de projets autour des carburants de synthèse. C’est plutôt rassurant par rapport à votre modèle économique ? 

Lorsqu’on a créé Elyse Energy, en 2020, on avait cette idée un peu folle de contribuer à faire émerger une filière de production de carburants de synthèse France et en Europe. Au début, on était perçus comme très à la marge de la filière hydrogène, mais notre pari était que les dérivés d’hydrogène au sens large, et les e-fuels en particulier, allaient lancer l’« économie de l’hydrogène ». C’est compliqué de lancer une nouvelle filière tout d’un coup, de la production à la distribution, car la décarbonation coûte plus cher et il faut financer tous ces investissements en parallèle. Les e-fuels pleinement partie de la filière hydrogène. Dès lors qu’il y aura des sites de production d’h2 compétitif à grande échelle en France, on verra aussi se développer la distribution et les usages. 

  • Elyse Energy a levé 120 millions d’euros auprès de Hy24, PGGM, Bpifrance et Mirova. C’est plutôt rare par les temps qui courent… 

Cette levée de fonds est une étape importante pour nous, car nous menons des projets au long cours, qui nécessitent des ressources financières importantes dès la phase de développement. Ces moyens nous permettront d’amener nos projets jusqu’à une première décision finale d’investissement, envisagée fin 2025 – courant 2026. C’est aussi un message d’espoir dans un contexte économique très difficile, et pas seulement dans l’hydrogène. Un message d’espoir, avec une alerte : la réindustrialisation de la France est aujourd’hui à risques. Nos clients demandent ces nouvelles molécules, et nous souhaitons pouvoir les produire en France et en Europe. Et non les importer depuis l’autre bout du monde. Pour y parvenir, et prendre une première décision finale d’investissement en France, nous voyons 3 conditions de succès :  

La première condition, c’est le maintien d’une industrie traditionnelle forte, comme par exemple la chimie, l’aéronautique ou les cimenteries. Je vous donne l’exemple de notre projet eM-Rhône dans la Vallée du Rhône (38) : nous récupérons le CO2 produit par les ciments Lafarge pour l’incorporer dans nos molécules, qui seront ensuite utilisées par l’industrie chimique. Avec notre autre projet E-CHO de production de Carburants d’Aviation Durables à Lacq (64), on vient aussi pérenniser les emplois de la filière aéronautique en consolidant l’amont de la filière. 

  • Votre présence au sein d’une alliance autour du corridor H2med est donc une façon de soutenir les autres industries ?  

C’est une vision industrielle que nous portons. Les molécules d’hydrogène et de CO2 que nous développons seront demain des commodités, qui feront l’objet de flux nationaux puis transfrontaliers. Aujourd’hui, ces infrastructures n’existent pas et nous devons construire nos projets quasiment en autarcie. Mais à terme, nos projets s’inscrivent dans des zones qui se retrouveront au coeur de ces futures autoroutes du bas-carbone. C’est pour cela que nous sommes dans la vallée du Rhône, à Lacq, à Fos ou à Saint-Nazaire, dans des carrefours concernés par ces projets d’infrastructures

  • La difficulté, c’est le temps long ? 

Tout cela va prendre du temps. On ne passe pas du fossile au bas-carbone du jour au lendemain. Il va falloir financer des infrastructures de transport avant de bénéficier de tous ces flux. Nos projets ont aussi l’avantage de contribuer à l’émergence de ces infras.  

La deuxième condition de réussite, c’est de remettre le « made in Europe » au cœur de notre machine réglementaire française et européenne. Aujourd’hui, il est plus facile d’aller produire hors d’Europe et d’importer que de produire chez nous. La réglementation doit créer les conditions d’une concurrence équilibrée.  

La troisième condition, c’est l’accès à l’électricité bas carbone, à un prix compétitif et dans la durée, ce qui est essentiel pour les industriels, anciens ou nouveaux. Notre position permet à la fois d’illustrer les opportunités et les entraves qui caractérisent cette filière de l’hydrogène, d’où notre message qui consiste à attirer l’attention sur le fait qu’il est possible de réussir, mais que les conditions ne sont pas encore toutes réunies.