Avec 31% des émissions nationales, le secteur de la mobilité est le premier émetteur de gaz à effet de serre (GES) du pays. Le transport routier de marchandises, représente, quant à lui, 20% des émissions de GES du transport, soit près de 26 millions de tonnes par an ; des chiffres conséquents qui témoignent du rôle essentiel de la mobilité dans la lutte contre le réchauffement climatique et la réussite de la transition écologique et énergétique. Pour atteindre les objectifs nationaux et internationaux fixés à -15 % en 2025 et -30 % en 2030 de réduction des émissions de CO2 pour les poids lourds par rapport à 2019, l’urgence est à l’accélération de la décarbonation.  

Dans ce cadre, le développement de l’hydrogène et de ses dérivés en complément de celui des énergies renouvelables, du nucléaire et de la maîtrise de la demande énergétique, est indispensable. L’hydrogène permet ainsi de décarboner de nombreux secteurs de l’économie et constitue la seule alternative zéro émission lorsque l’électrification directe n’est pas envisageable.  

Solution décarbonée efficace et fiable, l’hydrogène est particulièrement pertinent pour la mobilité lourde et les usages intensifs. Faisant écho aux objectifs nationaux visant à atteindre la neutralité carbone à 2050, la publication de la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné annoncée par le gouvernement en 2020 et le plan France 2030 ont donné une réelle impulsion à la filière qui, depuis, connaît un déploiement significatif. Dans cette logique, la mobilité lourde se développe, et particulièrement le camion à hydrogène.  

Mais aujourd’hui, où en est réellement le déploiement du camion à hydrogène ? 

Le camion à hydrogène offre de nombreux avantages permettant de répondre aux exigences du secteur de la mobilité lourde et, ces dernières années, fait montre d’un développement croissant souligné par de nombreuses innovations.  

Mobilité hydrogène lourde : une solution viable, efficace et répondant à tous les besoins 

Si les véhicules hydrogène et les véhicules à batterie fonctionnent de manière complémentaire pour décarboner la mobilité routière, l’hydrogène reste plus particulièrement adapté aux besoins des transports lourds et intensifs. Ce secteur est en effet soumis à de fortes contraintes opérationnelles auxquelles les véhicules électriques à batterie ne peuvent répondre. Temps de recharge rapide, grande autonomie, charges lourdes et usage intensif ; le camion hydrogène allie avantages d’utilisation et très faibles émissions.  

  • Une autonomie importante  

Les modèles de poids lourds affichent des autonomies allant de 400 km, tel que le camion Hyundai ou encore le camion Hyliko, annoncé avec 450 km d’autonomie, à 800 km pour le camion IVECO prévu pour 2027/2028. Par ailleurs, c’est le camion Mercedes-Benz GenH2 Truck, faisant partie de la division de Daimler Trucks, qui détient le record d’autonomie avec plus de 1000 km parcourus sans nécessité de ravitaillement. A travers cette performance, Daimler Truck a démontré la progression et l’efficacité des camions à hydrogène. Aussi, l’utilisation de solutions hydrogène est particulièrement efficace pour de longues distances annuelles, soit à partir de 80 000 kilomètres pour un camion transportant entre 16 et 32 tonnes dans le cadre d’une distribution régionale. La complémentarité entre batterie et hydrogène est bel et bien fonctionnelle entre 80 et 100 000 kilomètres, mais, au-delà, c’est l’hydrogène qui devient la principale alternative.   

A noter également que l’autonomie est variable selon les charges et les besoins en énergie spécifiques comme les véhicules réfrigérés.  

  • Des charges embarquées moins conséquentes : une autonomie préservée  

Si les camions à batterie assurent un bon fonctionnement pour des véhicules spécifiques tels que, par exemple, les camions transportant des produits alimentaires pour des trajets allant de 30 à 88km, ils ne répondent pas à un besoin d’usage intensif. Dans ce cadre, seule la flexibilité opérationnelle offerte par un camion à hydrogène est viable.  

Il est également nécessaire de prendre en compte la « charge embarquée » qui constitue le dispositif intégré à l’intérieur du véhicule se chargeant de convertir l’énergie électrique qui provient du réseau d’alimentation en courant continu pour recharger la batterie. Cette dernière a de fortes conséquences sur la capacité de chargement du camion. Ainsi, pour viser 500 kilomètres d’autonomie, un poids lourd électrique à batterie doit embarquer 2,5 fois plus de composants qu’un diesel, contre moins d’une fois plus pour un camion électrique à hydrogène. Cet écart de poids entre l’hydrogène et les batteries s’accentue avec l’autonomie. En ce sens, certaines prévisions pour les véhicules à batteries doivent donc être réévaluées en tenant compte des impacts sur les chargeurs et les transporteurs.  

  • Un temps de recharge rapide  

Pour un poids lourd électrique à hydrogène équipé d’un réservoir sous pression 700 bar, la recharge complète à une station de distribution se réalise à un débit de 60 gH2/seconde, en moins de 20 minutes. Les évolutions attendues sur la vitesse de recharge devraient permettre d’atteindre 120 gH2/seconde à une pression de 700 bar, voire éventuellement jusqu’à 180 puis 300 gH2/seconde, réduisant alors les temps de recharge respectivement à moins de 10 et 6 minutes.  

Le camion hydrogène en plein essor 

La filière connait, depuis quelques années, des avancées significatives. En témoigne ainsi celles du camion à hydrogène, dont le déploiement et les progrès technologiques ne cessent de croître. Aujourd’hui, l’utilisation des camions à hydrogène démontre son efficacité, sa pertinence et sa viabilité à travers plusieurs illustrations.  

  • La mobilité lourde hydrogène à Paris 2024  

En effet, tout juste cet été, le camion à hydrogène s’est invité aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. En amont de ces derniers, un camion à hydrogène rétrofité par Hyliko, exploité par Bert & You sous la supervision de CEVA Logistics et fonctionnant avec une pile à combustible a permis de transporter les véhicules Accessible People Mover à batterie mobilisées pour les athlètes, les organisateurs et les spectateurs à mobilité réduite. Aussi, lors de l’évènement, Toyota a livré à Coca-Cola deux camions hydrogène, alimentés en hydrogène d’origine renouvelable dans le cadre d’un programme d’essai de poids lourd à hydrogène.  

camion hyliko – paris 2024
  • Le Salon IAA 2024 : vitrine des camions hydrogène  

Du 14 au 22 septembre dernier, Hanovre a accueilli le Salon IAA, un évènement incontournable pour les acteurs du secteur du transport et de la logistique. Cette édition 2024 a été marquée par une présence remarquable de solutions hydrogène, révélant l’engagement des principaux constructeurs envers des technologies plus durables. 

IVECO(1) a ouvert le bal avec deux prototypes innovants : un moteur à combustion interne (ICE) de 13 litres et un modèle hybride série de 9 litres. Ces avancées témoignent de la volonté de la marque de développer des solutions qui allient puissance et respect de l’environnement. 

Prototype – IVECO S-Way équipé d’un moteur à combustion interne à hydrogène de 13 litres 

Volvo(2), maison mère de Renault Trucks, a également fait sensation avec un véhicule à hydrogène équipé d’une pile à combustible. Ce modèle illustre la stratégie de la marque visant à réduire les émissions de CO2 tout en conservant des performances élevées. 

De son côté, Daimler – Mercedes(3) a présenté un véhicule à hydrogène avec une pile à combustible, soulignant sa position de leader dans l’innovation. Les visiteurs ont pu découvrir les dernières avancées de la marque sur son stand, où l’accent était mis sur la durabilité et l’efficacité énergétique. 

MAN Truck and Buses(4) a été couronné du « Truck Innovation Award » pour son camion à hydrogène à moteur à combustion. Cette reconnaissance souligne l’importance croissante des technologies hydrogène dans le secteur des poids lourds. 

DAF Trucks(5), pour sa part, a présenté sa solution à hydrogène avec le moteur à combustion H2 Paccard et la pile à combustible Paccard. Ces innovations visent à élargir le champ des possibles en matière de transport lourd, tout en respectant les normes environnementales de plus en plus strictes. 

Enfin, sur le segment du véhicule utilitaire léger (VUL), Hyvia, filiale de Renault Group(6), a dévoilé le prototype de son nouveau Master H2. Ce véhicule, qui devrait être commercialiser en 2025, prévoit une autonomie de 700 km et un temps de recharge de seulement 5 minutes, afin de répondre spécifiquement aux besoins des usages les plus intensifs et adaptés aux professionnels de la distribution. 

Renault Master Fourgon H2-TECH – hyvia

Le Salon IAA 2024 a mis un coup de projecteur sur les avancées technologiques hydrogène des constructeurs européens, confirmant le rôle que jouera cette énergie en tant que solution de décarbonation clé pour le transport routier lourd.  

  • Quelques exemples de réalisation sur les plans national et européen  

Au niveau national, des projets ont été menés à bien, et de nouveaux sortent de terre. Par exemple, Lidl France et le transporteur Jacky Pernot(7) ont réceptionné leur premier camion à hydrogène, une première dans la grande distribution en France. Ce poids lourd sera déployé sur le réseau nantais d’ici la fin de l’année, se ravitaillant à la station multi-énergies de la Roche-sur-Yon. 

De son côté, le groupe Bert(8) a lancé un nouveau camion à hydrogène, un porteur frigorifique de 26 tonnes basé sur le modèle Hyundai XCient Fuel Cell, avec une autonomie de 300 à 400 km. Ce véhicule, qui assure les livraisons pour Carrefour en région parisienne, est ravitaillé à la station Hyliko de Villabé. D’autres camions similaires sont prévus d’entrer en service d’ici fin 2024, et d’autres transporteurs, comme Pernot, s’engagent également dans l’utilisation de camions à hydrogène. 

Cet été, Hyliko a mis en service le premier pôle d’excellence hydrogène français dédié aux poids lourds à Villabé. Composé d’une station d’avitaillement en hydrogène vert et un centre de maintenance, il marque une avancée significative vers la décarbonation du transport. Ce site abrite déjà plusieurs camions hydrogène rétrofités, soutenant le développement de la filière en France. 

pôle hydrogène de villabé – hyliko

Sur le plan européen, on note le projet H2HAUL (Hydrogen Fuel Cell Trucks for Heavy Duty Zero Emissions Logistics)(9), lancé en France et en Europe, qui marque le déploiement de 16 camions à hydrogène sur quatre sites. L’évènement a plusieurs objectifs, dont celui de développer le transport lourd sur de longues distances (26 et 44 tonnes) qui réponde aux exigences des clients dans une variété d’environnements d’exploitation, ou encore de démontrer la grande fiabilité des poids lourds à pile à combustible, compatibles avec les opérations normales de transport routier dans des conditions d’exploitation normales. 

En outre, depuis 2020, Hyundai Motor(10) a livré de nombreux poids lourd à pile à combustible, 47 en 2022, à une vingtaine d’entreprises suisses. Ce sont les camions XCIENT Fuel Cell qui sont équipés de deux piles à combustible, de trois batteries et d’un moteur électrique et sont exploités dans différents secteurs. En 2022, ils ont déjà parcouru plus de 5 millions de kilomètres, et, en 2024, ils battent un nouveau record avec 10 millions de kilomètres au compteur.  

XCIENT Fuel Cell Truck – hyundai

Une offre de stations à hydrogène en progression  

L’offre de véhicules se développe progressivement, au rythme des projets de constructeurs européens et rétrofiteurs français, accompagnés par les équipementiers.  

Pour mener à bien ce développement, des stations de ravitaillement à hydrogène voient le jour sur l’ensemble du territoire afin de répondre aux besoins des usagers et leur proposer un écosystème complet. L’enjeu est ainsi d’assurer un passage à l’échelle pour les projections du parc de véhicules hydrogène à horizon 2030.  

  • Les projets d’infrastructures hydrogène  

Le réseau de stations de recharge hydrogène connaît une forte croissance, au niveau national tout particulièrement, et se déploie au regard des avancées territoriales afin d’assurer une mise à l’échelle cohérente de celui-ci.   

En effet, avec 76 stations opérationnelles et 197 stations en projet à court terme, le réseau de stations de recharge hydrogène français fait partie des mieux équipés du monde. Certaines régions telles que l’Île-de-France, l’Auvergne-Rhône Alpes, la Normandie, la Vendée et la Bourgogne Franche Comté abritent un maillage plus important de stations qui s’inscrivent dans le cadre de différents projets de mobilité déployés depuis plusieurs années. 

Mais l’Europe n’est pas en reste. Le règlement européen AFIR impose un objectif d’une station tous les 200 km le long du réseau central RTE-T ainsi que l’ensemble des nœuds urbains d’ici au 31 décembre 2030 ; Chaque station devra être dotée d’un distributeur 700 bars et proposer une capacité d’au moins une tonne par jour par station ou d’une tonne par jour cumulée pour les nœuds urbains. A noter cependant que ces seuls objectifs ne suffisent pas à garantir un maillage suffisant en France à l’horizon 2030.    

En conclusion, l’hydrogène constitue une solution adaptée à la fois aux contraintes opérationnelles et environnementales auxquelles sont soumis les acteurs du transport lourd. Il constitue une véritable opportunité pour le secteur, lui permettant de mener à bien sa transition afin d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2. Pour accélérer son développement et, à un point de vue plus étendu, la décarbonation du secteur routier, un cadre réglementaire approprié et un soutien financier doivent encore être mis en œuvre.  

Pour savoir plus sur le déploiement de la mobilité lourde en France, consultez la carte recensant les différents projets.

Références